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Il y a quelques mois, Mare Nostrum a publié une chronique du « Le Chant de Corbeau » de Lee Maracle, pionnière de la littérature des Premières Nations, les peuples autochtones canadiens. Dans le « Chant de Célia », nous retrouvons avec plaisir les personnages du village Stó :lō, séparé de la ville des Blancs par la rivière et le pont. Les habitants y avaient été confrontés à une épidémie de grippe meurtrière dans les années 1950. Une trentaine d’années se sont écoulées entre l’intrigue de « Chant de Corbeau » et celle de ce nouveau roman. Le village et sa communauté ont subi de fait l’entrée dans la modernité imposée par les Blancs : « les automobiles et la circulation routière ont fait leur entrée. La télévision est arrivée. »
Dans la littérature nord-américaine, il n’est pas rare de croiser des personnages issus de la mythologie. Dans le « Chant de Célia », le narrateur est Vison, « témoin du peuple par excellence », qui se faufile et se cache pour suivre les pas de Célia la sœur cadette de Stacey (héroïne de « Chant de Corbeau »). Célia a 38 ans, elle est divorcée et se retrouve confrontée à l’inexplicable suicide de son fils Jimmy. Les habitants inquiets s’interrogent : cet acte sera-t-il le début d’une macabre série ? Le village semble en effet avoir sombré dans une décadence que les habitants ont bien du mal à s’expliquer. Le personnage de Stella, alcoolique, et contrainte de se prostituer est particulièrement poignant. Les sévices dont elle et sa petite fille sont victimes sont décrits avec un réalisme cru qui ne laisse pas indifférent. Célia devra apprendre, aidée de sa famille et en particulier du jeune Jacob, son neveu, à panser ses propres plaies en accompagnant la guérison de Stella et de sa fille.
Cette quête est en réalité un questionnement philosophique sur la perte de sens de leur société qui s’est éloignée de leurs coutumes, de la nature – pourtant si importante pour les peuples autochtones – et des esprits qui servaient de guides aux humains :

Le peuple ne sait plus qui il est. Il est triste, blessé, en colère et déconnecté ; certains de ses membres ont perdu la tête et sont trop occupés à se persécuter les uns les autres ; pas tous, mais un bon nombre d’entre eux.

Célia et Jacob, grâce à leur don de voyance, sont les intermédiaires entre le passé et ce présent violent et douloureux. Ils vont s’employer à retisser les liens familiaux et ancestraux afin de briser le cercle de la violence à travers le chant et la danse. Comme dans « Chant de Corbeau », les personnages sont dépeints avec beaucoup d’humanité et portent en eux une force de caractère leur permettant de traverser les épreuves de la vie. Comme le rappelle Vison, « les histoires qui ont vraiment besoin d’être racontées sont celles qui nous ébranlent au plus profond de notre être.  » C’est bien ce sentiment que procure la lecture de ce roman, où l’on rit et l’on pleure à mesure que l’intrigue avance.

Cet ouvrage est le dernier chant poussé par Lee Maracle. La militante et écrivaine autochtone Lee Maracle est morte le jeudi 11 novembre 2021, à l’hôpital britanno-colombien Surrey Memorial, à l’âge de 71 ans. L’écrivaine a attiré l’attention du monde entier avec son écriture puissante et sa lutte constante pour les peuples autochtones au Canada. Lee Maracle a remporté de nombreux prix pour ses œuvres et son roman Celia’s Song a été finaliste pour le Neustadt International Prize, en 2020, l’un des prix littéraires les plus prestigieux dans le monde. (Source Radio Canada)

Marine MOULINS
contact@marenostrum.pm

Maracle, Lee, « Le chant de Celia « , Traduit de l’anglais par Joanie Demers, Mémoire D’encrier, « Roman », 01/10/2021, 320 p, 22€

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Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

Si vous cherchez un roman qui vous serre le cœur, vous fait voir autrement l’exil, la filiation et la parole des femmes, ne passez pas à côté de Kaïssa.

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