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Le nom de Sayyid Qutb, n’est pas très familier du grand public en général et de nombreux musulmans en particulier. Pourtant, il n’est pas incongru de penser que ce théologien révolutionnaire façonne encore le monde d’aujourd’hui et ce plus de cinquante ans après sa mort. Prônant un retour au mode de vie de la communauté du Prophète, Qutb expose une lecture fondamentaliste de l’Islam. « Fi-Zilal al-Qur’an », son œuvre principale, se veut un « tafsîr » (exégèse coranique) littéraliste, soutenant l’opposition qutbienne à tout commentaire coranique moderne. Dans « Le Coran des Islamistes », Olivier Carré dissèque et analyse cette doctrine, exposant son influence sur le terroriste islamique du XXIe siècle.

Rompant avec Mohammed ‘Abduh et Rachid Ridâ, fondateurs du réformisme musulman, il donne naissance au salafisme, venant de la racine « SLF », qui signifie : « ce qui a précédé, ce qui a eu lieu ». Idéalisant la période des quatre califes « bien guidés », Sayyid Qutb appelle de ses vœux à une renaissance de ce qu’il nomme la révolution mecquoise, révélation miraculeuse stipulant que Dieu est unique, et le Prophète est son messager, affirmation que Salah Abdeslam s’est d’ailleurs empressée de déclamer lors de l’ouverture de son procès. Sayyid Qutb et son sinistre affidé Salah Abdeslam, ont cela en commun qu’ils méprisent la Jâhiliyah moderne, l’âge de l’ignorance qui rejette le message prophétique. Et c’est contre cette jâhiliyah qu’ils mènent leur « jihad mineur », tentant d’instaurer un État islamique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, leurs victimes ne sont pas que chrétiennes ou juives. Même s’ils restent des idolâtres et doivent être combattus, Qutb soutient la protection des gens du Livre lorsqu’ils sont soumis au jizya (impôt réservé aux non-musulmans dans les États islamiques). Sa priorité est ces faux musulmans, ces hypocrites qui se réclament de l’Islam. Ils doivent être neutralisés dans l’optique de purifier les rangs des croyants. Pour cela, Qutb s’appuie sur la doctrine d’Ibn Taymiyya, autre figure inspiratrice d’Al-Qaïda et de Daesh.

Mais Abduh ne parle que du Jugement final tandis que Qutb entend discriminer et châtier dès ici-bas dans la société islamique sous un État islamique véritable. C’est ici qu’apparaît le fondement doctrinal de l’extrémisme politique de Qutb lui-même, et bien davantage, des « qutbistes » ultérieurs.

L’islam qutbiste est par essence violent. Chaque musulman a pour mission de devenir un soldat prêt à combattre l’idolâtrie au bon vouloir de Dieu. Cette dimension divine offre une justification cosmologique à la guerre de religion, poussant des individus insignifiants et en quête de reconnaissance à prendre les armes. C’est ainsi que l’attentat suicide devient le sacrifice suprême. Défendant la révélation coranique et son message, le fanatique prouve son adoration divine, garantissant sa place au paradis. Tenant de la secte des Kharijites formée au Ier siècle de l’Hégire en opposition à Ali, les exécutions sont faites sans procès, le jugement appartenant seulement à Dieu.

C’est « un esprit de combat » qu’il entend proclamer et, selon lui, faire renaître comme à l’origine. Il s’efforce d’interpréter l’Islam comme un combat, et non pas un combat spirituel et moral seulement, mais missionnaire, et militaire. L’islam, selon lui, est agressif, intégral, intransigeant, mondial, ou il n’est pas.

Exécuté en 1966 par pendaison pour son activisme par le gouvernement de Nasser, Sayyid Qutb est devenu un martyr. Un soldat du jihad tombé pour avoir défendu sa vision personnelle de l’islam, qui ne peut être préservé qu’avec l’instauration d’un État islamique. L’ouvrage d’Olivier Carré, réédité cette année aux éditions du Cerf, est donc indispensable pour comprendre le monde qui nous entoure. À l’heure où le « zemmourisme » confond volontairement islam et islamisme et en persistant à faire une lecture islamiste du Coran, il est impérieux de comprendre que la lecture qutbiste de l’Islam ne représente qu’une très infime minorité des croyants. Islam et République ne sont pas incompatibles, pas plus que la cohabitation avec d’autres confessions religieuses. Cette vision fondamentaliste, qui souhaiterait un retour au mode de vie des premiers musulmans, est une ineptie totale et l’incarnation d’un islam fantasmé. Il serait temps de réaliser que l’Islam, malgré son caractère divin, est aussi un phénomène historique, ce qui signifie qu’il se doit d’évoluer. La plupart des sourates législatives du Coran sont ouvertes à l’interprétation des juristes, qui – dès les premiers siècles de l’hégire – reconnurent leur flexibilité. Le qutbisme, dont l’idéologie fut réutilisée et radicalisée par les groupes terroristes islamistes de la fin du siècle précédent, est plus une menace pour l’immense majorité des musulmans, qu’il ne l’est pour la laïcité française.

Éliane BEDU
articles@marenostrum.pm

Islamologue, politologue, sociologue, longtemps professeur à l’université Sorbonne-Nouvelle et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales, Olivier Carré s’est distingué comme un éminent spécialiste du Proche-Orient avant de s’imposer comme un pionnier des études sur l’islamisme.

Carré, Olivier, « Le Coran des islamistes : lecture critique de Sayyid Qutb, 1906-1966 », Le Cerf, 09/09/2021, 1 vol. (381 p.), 25€.

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