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La réédition d’une œuvre renouvelle l’occasion de découvrir un beau texte. Publiée en 1992, Actes Sud BD propose une édition du livre de Mohammed Dib, “Le désert sans retour”, enrichi des belles et paisibles illustrations de Jacques Ferrandez.
Le récit est une énigme, une question suspendue entre l’étendue de sable et l’immensité du ciel. Une série de questions d’autant plus profondes qu’elles ne sont pas formulées, mais toujours sous-jacentes. La force d’un texte littéraire est là, dans l’immensité de son pouvoir de suggestion qui s’impose au lecteur par la puissance et l’originalité des mots tissés composant le fragile tissu du langage. Le titre lui-même est déjà tout un programme. Quel détour dans le désert sans fin ? On entend malgré nous “sans retour” pour le lecteur qui s’avance (im)prudemment dans le désert tant la progression y reste hagarde. Le désert sert de décor à deux personnages, le petit et gros monsieur Hagg-Bar, dans son frac débraillé, et son faire-valoir, le grand et étique Siklist. Quelque part entre le conte philosophique et le conte oriental des Mille et une nuits, Le désert sans retour est la réitération des inséparables duos littéraires, Don Quichotte et Sancho Panza, Jacques et son maître, Vladimir et Estragon.
On reprendrait volontiers l’incipit du roman de Diderot : “D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ?”. Naufragés du désert après un conflit armé, Hagg-Bar et Siklist, caricatures d’une société invisible (tenue de soirée et salopette), déambulent dans cet espace sans fin, à la fois réel et imaginaire, invincible. S’ils se parlent, ils se répètent surtout, étranges échos de leurs incompréhensions mutuelles. Ils ne se regardent pas, “craignant probablement de s’emmurer l’un dans le regard de l’autre”. “Ils avançaient parce qu’ils croyaient que ça les avançait. Il n’en était rien. En quelque sorte ils étaient arrivés et ne le savaient pas…”.
La palette de Jacques Ferrandez ponctue les pages de ce livre par la douceur de ses couleurs. Ces aquarelles ont été réalisées dans le désert algérien, dans l’oasis de Taghit, presque sur le vif, en décor réel. Elles révèlent autant la beauté de cet espace infini et effrayant que son enfermement. “Le désert offre en revanche cette autre particularité qu’on y marche vers soi-même et, ainsi, vers le malheur” Dessinateur et scénariste, Ferrandez partage avec Mohammed Dib leur Algérie natale. La fascination pour le désert est tangible sous ses pinceaux et ses crayons. L’horizontalité des courbes ocre du paysage s’impose, presque amoureusement, au fil des pages, miroir du ciel dont il partage le camaïeu. La sensibilité des dégradés et les couleurs volontairement restreintes de l’artiste soulignent l’éternité du paysage, son éternel retour nietzschéen ou quignardien, car “pour l’instant, nous sommes les hôtes du désert, ceux qui errent sur le chemin qui chemine. Pour le moment, nous sommes dehors et nous cherchons la porte d’entrée, qui sera aussi la porte de sortie. Tel est le sens de notre marche”.
L’illustration est toujours une gageure. Si elle veut se singulariser, prendre son autonomie d’œuvre à part entière, elle ne doit pas être purement illustrative. À moins qu’elle ne dévoile quelque chose comme l’esprit plutôt que la lettre. Du côté du texte, le risque est de se voir imposer des images qui ne peuvent jamais coïncider totalement avec l’écriture. Les illustrations de Jacques Ferrandez réussissent à entrer en dialogue avec la prose de Mohammed Dib. Sur une double page ou une page unique, elles suggèrent une respiration naturelle et invitent à la contemplation comme le texte suscite la réflexion. Ou l’inverse. Par une union féconde, l’œuvre double ainsi créée permet de renouveler le sens d’une œuvre, après coup. “Oui, comme toujours : après coup. C’est ainsi que cela se passe, que les choses se passent. On ne réalise qu’une fois qu’elles se sont réalisées.”

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Dib, Mohammed & Ferrandez, Jacques, “Le désert sans détour”, Actes Sud, “Actes Sud BD”, 02/06/2021, 1 vol. (220 p.), 25,00€

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