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Joël-Marie Ferrand, Le dessein d’amour de Dieu : d’après les écrits de Luisa Piccarreta, Éd. Pierre Téqui, 24/05/2023, 1 vol. (170 p.), 15,90€

Luisa Piccarreta est une visionnaire catholique italienne née en 1865. Dès son enfance, Jésus commence à se manifester à elle par une voix intérieure, puis par des apparitions. À seize ans, sa santé chancelle. Chaque matin, elle se voit plongée dans une catalepsie dont seul un prêtre peut la sortir. Simultanément l’inédie commence : elle ne se nourrit chaque jour que d’une hostie consacrée. À partir de vingt-deux ans, elle doit garder le lit et y demeurera jusqu’à la fin de sa vie. Durant cette période, elle écrit dans l’humilité et l’anonymat son expérience mystique et les révélations qui lui sont données par le Christ. Trente-six volumes rédigés en quarante ans constitueront Le Livre du Ciel, aujourd’hui traduit en français. Lorsqu’elle meurt en 1947, elle est inconnue du public. Son procès en béatification est ouvert à Rome depuis 1994 sans que sa cause paraisse beaucoup avancer et sa notoriété dans les milieux chrétiens demeure à ce jour moindre que celle d’une Anne Catherine Emmerich ou d’une Maria Valtorta, par exemple.

Une théologie de la souffrance

C’est dire si dans ce contexte l’ouvrage qu’offre le père Joël-Marie Ferrand se révèle audacieux. Car comme il le reconnaît lui-même les écrits de Luisa Piccarreta sont d’un accès difficile. Par leur style parfois amphigourique d’abord, par le contenu de leur message ensuite. Face au relief escarpé de cette œuvre monumentale, l’auteur choisit donc de l’attaquer par la face Nord. C’est-à-dire par une théologie de la souffrance qui pourra sembler dissonante aux oreilles modernes. « Ô homme, comme je t’aime ! Si tu savais à quel point cela me chagrine d’avoir à te châtier ! » affirme ainsi le Christ (p. 35). Les fléaux endurés par l’humanité sont des châtiments destinés à punir ses péchés et à lui permettre d’accueillir la Rédemption. Quant à la Passion, elle se résume à cette hyperbole brutale : « J’ai aimé la souffrance jusqu’à la folie. J’ai aimé la mort afin de donner la vie à mes enfants » (p. 125). Le lecteur plus familier de la douceur divine que de l’idée d’un Dieu vengeur n’y trouvera peut-être pas son compte et l’incroyant pourrait voir dans ces formules tranchantes des arguments supplémentaires à ses doutes. Ce serait dommage. Car ces aspérités une fois dépassées, le fond du propos se dévoile en splendeur et en majesté : annoncer l’ère de la Divine Volonté dans laquelle s’immergeront toutes les créatures et par-là « réunir les membres brisés et redonner à l’homme l’unité et l’inséparabilité tel qu’il était sorti de nos mains créatrices » (p. 40).

Des textes prophétiques

Les textes de Luisa Piccarreta, en effet, sont avant tout de nature prophétique et à ce titre, il est traditionnel que l’excès dans l’expression littéraire leur soit associé. Ce qui est prédit pour demain, c’est « un été planétaire unique » selon la belle formule de Joël-Marie Ferrand (p. 154). Certes, la reconnaissance, l’acceptation et la réalisation de la volonté divine figurent dans la prière léguée par le Christ à ses disciples et font figure de commandements essentiels pour tous les chrétiens. Certes, le Fiat ! qui revient ici comme un leitmotiv et se présente comme un pilier du Royaume à venir se trouve déjà au cœur d’un ouvrage fameux, L’Abandon à la Providence Divine du père de Caussade, publié en 1860. Cependant il y a chez Luisa Piccarreta une nouveauté : l’événement promis sera une grâce à caractère universel. Au terme d’une lente préparation et d’une grande « course d’amour« , ce sont tous les êtres humains qui recevront ce don de Dieu, cette immersion dans Sa Divine Volonté. L’une des forces de ce livre est d’en présenter la teneur d’une manière à la fois pédagogique et concise sans sacrifier à la rigueur des citations de son objet d’étude.

Luisa Piccarreta : visionnaire en voie de béatification ?

Si l’auteur ne dissimule pas son engouement pour ce dernier, la cause n’est pourtant pas entendue. On sait que pour les chrétiens, la Révélation est définitive et que rien ne saurait lui être ajouté. Le Catéchisme de l’Église catholique considère que les révélations privées – catégorie dont relèvent les écrits de Luisa Piccarreta – « n’appartiennent pas au dépôt de la foi » (article 67) et ne peuvent ni l’améliorer ni la compléter. Dans la mesure où le règne de la Divine Volonté paraît se confondre avec le Second Avènement du Christ, toute la question est de savoir si cette prophétie ne fait que l’expliciter en permettant « d’en saisir graduellement toute la portée » (article 66 du Catéchisme) ou si elle en renouvelle la perspective, voire prétend s’y substituer – ce qui la condamnerait comme hérétique.
Après l’ouverture du procès en béatification de la visionnaire en 1994 par le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, deux éminents théologiens ont attesté de la non-contradiction de ses textes avec la foi catholique. La question néanmoins n’est toujours pas tranchée et le soin que met le père Ferrand à établir des liens entre le Livre du Ciel et les grands textes de la catholicité montre à l’évidence que l’enjeu demeure grand. À cet égard, le chapitre vibrant qu’il consacre en fin d’ouvrage à l’impact de cette œuvre sur sa propre vie spirituelle en constituera à coup sûr l’une des défenses les plus convaincantes.

Image de Chroniqueur : Philippe Ségur

Chroniqueur : Philippe Ségur

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