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Un titre romantique ? Peut-être l’amorce d’un récit dramatique ?
La couverture, tout en discrétion des Éditions du Jasmin ne nous livre pas d’indices pour en savoir davantage. Un petit tour sur leur page Facebook révèle, entre autres, de bien jolis ouvrages destinés à un public enfantin ou adolescent. Et aussi quelques informations sur Eva Dézulier, auteure de ce passionnant « Le fiancé du feu » qui ne leur est pas destiné.
Cette jeune écrivaine, ancienne élève de l’ENS de Lyon est – à ce jour – agrégée de lettres, mère de famille, et enseignante en lycée, non loin de Saint Étienne. Elle réussit, avec ce premier roman, un véritable coup de maître. Difficile en effet, d’en abandonner la lecture avant d’arriver à l’ultime page !
Le texte, agencé en trois parties, comme une tragédie en trois actes, à défaut d’être une pièce de théâtre, pourrait constituer le matériau d’un excellent scénario : silences ; cris ; murmures.
C’est en effet dans les paroles et les non-dits des membres d’une famille que l’autrice va chercher son matériau d’écriture. Emmanuelle, l’une des « voix » du texte, présente tout au long de l’œuvre, veut, dans un souci de transmission à sa propre descendance, reconstituer l’histoire de Juan, grand-père mystérieux et peu connu. Elle s’appuie sur de rares photos, sur les récits et les oublis familiaux. Elle laisse donc la parole à ceux qui ont partagé sa vie : Luis, le frère cadet ; Pili, l’épouse ; Sol, l’amoureuse, même s’ils semblent perdus dans les limbes du passé. Elle colmate les brèches par son intuition imaginative : « Étonnant comme l’esprit humain métamorphose les faits objectifs, et comble tout naturellement les vides du récit. »
Il en résulte un roman polyphonique puissant.
Les premières lignes saisissantes nous montrent Luis, narrateur enfantin de son triste présent, marchant depuis des heures sous un soleil de plomb sur la corniche d’un toit. La punition doit l’amener à dénoncer un camarade. La délation seule interrompra la sanction.
Le ton est donné. Nous sommes dans un pensionnat franquiste des années qui suivent la Seconde Guerre mondiale et les sévices infligés aux enfants des « Rouges » relèvent du crime. À la suite d’une succession de drames familiaux dont la suite du texte nous révélera la teneur, c’est là que vivent depuis plusieurs années, le fragile Luis, chétif et malléable et son magnifique aîné, le fier et orgueilleux Juan, détenteur d’un indicible secret. Si le cadet se réconforte aux chants et aux prières, assimilant à la Vierge Marie une mère dont il a oublié le visage, son aîné ne songe qu’à la fuite. Une opportunité va leur être offerte : leur génitrice, s’étant souvenu de leur existence facilitera leur évasion pour des raisons peu honorables.
Une traversée des Pyrénées et quelques mois d’esclavage pastoral plus tard, nous les retrouvons dans le décor minier et rural de Decazeville où se dérouleront leurs vies sur la base donnée par leurs caractères, leurs capacités, mais aussi l’interprétation que chacun fait de son passé.
Petite existence médiocre pour Luis, acquis à la dévotion de la mère retrouvée et indigne, modelé lui-même par une religion de péchés, d’interdits, de remords, et de pénitences. Il reproduit sur sa progéniture les maltraitances subies dans sa propre enfance.
Et une indiscutable réussite sociale pour Juan, robuste, entreprenant, porté par la croissance des Trente Glorieuses. Il en affiche les signes ostentatoires de richesse au cœur de sa belle-famille d’immigrés espagnols bruyante et excessive, mais solidaire : la belle maison sur la colline, la grosse voiture, le bateau et la résidence secondaire à la mer…
Peu à peu, le point de vue de Luis laisse place à celui de Pili, l’épouse coquette et illettrée, vouée aux tâches domestiques et aux soins des enfants. Et puis de Sol la petite-cousine. L’inoubliable fraîcheur de ses quinze ans va marquer toute la vie de Juan d’une brûlante empreinte et d’une ineffaçable frustration.
La jalousie dévorante de l’une, et le désir irrépressible de la seconde, sont opposés par l’auteure dans deux interprétations différentes du même événement à hauteur des sentiments de chacune. Mais la douleur des deux femmes est poignante même si les causes diffèrent.
Qu’advient-il de ce Juan, qui voulut auprès des siens être une inébranlable présence, le repère paternel qu’il n’avait pas eu ?
Eva Dézulier ne lui accorde que peu la parole, même s’il est le centre des pensées de tous. Pour ses proches, il fut l’homme qui – dans ses moments de loisirs – tordait inlassablement des clous rouillés pour en faire des colliers, chapelets ou couronne d’épines ? Expression douloureuse de son histoire tourmentée et de son impossible résilience ? Mais il reste aussi le patriarche figé dans une image idéalisée.
Peut-être la part sombre de lui-même s’incarne-t-elle, comme un double fantasmé dans l’étrange Claxton qui hante le roman, se glisse dans les évènements familiaux, et semble connaître au cœur de l’intime chaque protagoniste ? Celui qui propose à Sol de l’aider à réaliser son rêve aux États-Unis, devenir actrice et entrer dans la lumière d’une éphémère notoriété. Celui qui ne laissa de son passage qu’une ombre floue sur les photos

Une part de mystère plane sur ce roman, pourtant écrit de façon très réaliste et imagée par Eva Dézulier. Elle adapte son style à la personnalité de chaque narrateur avec une facilité confondante. Elle recrée avec une grande aisance cette atmosphère de petite ville de province, très caractéristique avec ses marchés colorés, ses bals populaires, où on connaît ses voisins et leurs histoires de famille. Et elle n’élude pas ce regard méprisant que l’ancien immigré pose sur le nouvel arrivant.
« Le fiancé de feu » est une jolie découverte de ce printemps 2021. Puisse Eva Dézulier nous en préparer d’autres !

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Dézulier, Eva, « Le fiancé du feu », Editions du Jasmin, « Jasmin littérature », 01/03/2021, 1 vol. (312 p.), 19,90€

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