Perrine Baron, On ne badine pas avec la mort, Actes Sud, 01/10/2025, 144 pages, 15€

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Perrine Baron n’est pas thanatopractrice, mais elle s’y est essayée. Dans On ne badine pas avec la mort, elle transforme un sujet plombant en une exploration littéraire vibrante d’intelligence. Mêlant son propre parcours à une érudition débridée, elle nous invite à une visite guidée des coulisses de la fin de vie, là où l’humour et le savoir désarment le macabre. L’ouvrage, aussi inclassable que réjouissant, tient autant du journal d’enquête que de la méditation philosophique sur nos rituels face au vide.
De la centrifugeuse au maquillage funèbre : la mort sans tabou
Le récit de Perrine Baron s’amorce comme une confidence : « je vais vous parler de la mort ». Cette promesse, qui pourrait annoncer un traité funèbre, est en réalité le début d’une aventure intellectuelle et sensorielle. Le fil rouge de l’ouvrage est la propre quête de l’autrice, qui, pour les besoins d’un roman en gestation, pousse la porte d’une agence de pompes funèbres. Cette visite devient la colonne vertébrale du livre, le point d’ancrage d’où partent toutes les explorations. Le lecteur découvre avec elle la liturgie de la thanatopraxie, non pas comme une description froide, mais comme une série de révélations. La centrifugeuse, cet appareil qui vide le corps de son sang pour le remplacer par du formol, y est présentée comme un « miracle de la technologie », faisant se télescoper l’univers domestique et le soin post-mortem. Perrine Baron observe, participe, et nous transmet le vertige de ces gestes précis : l’incision discrète, le massage ultime des membres figés, ou encore l’application du maquillage, cet art de rendre un visage à celui qui n’en a plus, de créer une dernière image acceptable pour les vivants.
Deuil, mythes et histoire dans "On ne badine pas avec la mort"
L’autrice orchestre alors un foisonnement de savoirs qui font de son texte un formidable cabinet de curiosités. Perrine Baron assume une posture d’omniprésence, nous guidant à travers un labyrinthe de faits, de mythes et d’anecdotes avec une curiosité contagieuse. Chaque digression, sans nous égarer, enrichit le propos central. On saute de la découverte d’Ötzi, la momie des glaces, à l’origine du deuil en noir imposé par Anne de Bretagne, pour mieux comprendre comment chaque époque invente son propre langage face à la mort. Le récit fonctionne par associations d’idées, où l’humour agit comme un solvant puissant, dissolvant la chape de plomb du tabou pour en révéler les mécanismes culturels et psychologiques.
Nos funérailles sont-elles une mise en scène ? Le livre qui décrypte nos adieux
Spécialiste de la mort, des rites de passage, des théories de la résurrection, des croyances syncrétiques, de l’embaumement antique à la cryogénisation contemporaine, on reconnait en On ne badine pas avec la mort un texte qui explore avec grâce les mystiques modernes, les angoisses millénaires et les fantaisies crues de notre rapport à l’ultime. Perrine Baron prend le risque de la fragmentation, pariant sur l’intelligence du lecteur pour relier les points entre la phobie d’être enterré vivant au XIXe siècle, les zombies de la tradition vaudou et ses propres crises d’angoisse. Cette structure éclatée reflète la nature même de notre relation à la mort : un assemblage hétéroclite de savoirs cliniques, de croyances intimes, de peurs irrationnelles et de rituels collectifs.
La mort peut-elle être jouissive ? Le récit d'initiation macabre de Perrine Baron
En nous plongeant dans l’intimité technique de la mort, l’ouvrage force une réflexion sur notre propre regard. Sommes-nous de simples voyeurs fascinés par le macabre, ou cherchons-nous, dans ces descriptions, une forme d’apaisement ? L’auteure se garde bien de trancher, laissant son lecteur face à l’ambiguïté de sa propre curiosité. En détaillant les rites funéraires d’autres cultures, comme ceux des Torajas qui promènent leurs défunts, ou en disséquant les mythes de l’au-delà, elle montre que chaque société fabrique des fictions pour habiller le silence. Le livre devient ainsi un miroir tendu à nos propres pratiques, souvent aseptisées et cachées.
La grande force d’On ne badine pas avec la mort est de ne jamais clore le débat. Le texte se referme sur une image forte, celle du trocart, cet outil de vidange des organes, qui demeure à l’intérieur du corps, invisible, une fois les soins terminés ! Ce détail, à la fois technique, incongru et presque poétique, résume toute la démarche du livre : aller voir ce qui se cache sous la surface, révéler l’envers du décor, et laisser une interrogation vibrer bien après la lecture…
Dans ce récit, Perrine Baron ne nous apprend pas à mourir ; elle nous force à être furieusement vivants.
Chroniqueur : Raphaël Graaf
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