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Charles Dantzig, Paris dans tous ses siècles, Grasset, 10/01/2024, 1 vol. (343 p.), 22€

Paris, à plus d’un titre, est la capitale des écrivains, tant français (Céline, Dumas, Fallet, Hugo, Proust, Nothomb, Sagan…) qu’étrangers (Brown, Hemingway, Nin, Weisberger…). Il fallait bien que Charles Dantzig, auteur d’une quarantaine de romans, essais, recueils de poèmes, anthologies, dictionnaires et traductions, s’y penchât sérieusement à son tour, faisant revivre certains maîtres à penser parisiens et, surtout, fît preuve d’une imagination féconde pour attirer Le chaland qui passe, qu’il fut provincial ou capital. Son Paris dans tous ses siècles ou Paris dans tous ses états est une invitation aux voyages dans la Ville démultipliée et magnifiée, en rompant avec l’ordre et la logique établis. Le livre a priori historique, vu l’intitulé, est hors du temps. Il va, il saute, il se mélange dans toutes les époques et directions, il est même anachronique dès la première ligne où « les lampadaires en cou de dinosaure semblaient inspecter les voitures allant de front sur l’autoroute par deux, puis par quatre, puis par huit, vers PARIS ». Le roman plonge dans le fantastique urbain, de L’autre côté carrollien poétique et bon enfant et adulte peu sage, où cohabitent avec bons heurts espèces animales et humaines. Leur humeur, bonne ou mauvaise, est constamment alimentée par des petites réparties courtes, d’une à trois lignes, qui parsèment et ponctuent les bas de page : « Tu as les mêmes à Draw pour deux fois moins cher ! » ; « Pousse-toi, hé connard ! », « Tu aurais une cigarette ? ». Ces tranches de vie vocales égrenées, telles de petits bonjours, sont des pensées intérieures ou des réflexions faites à voix haute dans la rue qui font entrer de plain-pied et de connivence le lecteur qui vient rejoindre joyeusement le quotidien des animaux et des humains.

Le Paris des animaux

Là où l’auteur innove d’abord et surprend est dans la nature première de ses habitants et habitantes, héros et héroïnes originels et hors du commun. En effet, les premières âmes de la capitale ne sont pas les hommes et les femmes mais bel et bien le peuple des animaux : les oiseaux – une mouette rieuse découvre de haut Paris et, folle de joie, fait des loopings – les insectes – une mite « au vol alcoolique » est certes ivre de joie – et les grandes et petites bêtes, domestiques et sauvages, de tous poils, écailles et carapaces, qui pullulent – et polluent parfois négativement – dans la capitale. Tels les humains, ils parlent, pensent, draguent et s’engueulent. Sont-ils la métaphore des hommes ? Ainsi Guillaume est le prénom non d’une personne mais d’un teckel à poils ras tant aimé par son maître que celui-ci lui avoue : « C’est toi que j’aurais dû avoir pour fils ». C’est une véritable faune qui anime Paris – devenue aussi la capitale des animaux rassemblés (…dans le Paris gagné) – à différents niveaux : aérien, terrestre, souterrain, et qui suggère les différentes classes sociales. C’est le bestiaire urbain, qui cache les bas-fonds, avec les rats, les souris, les surmulots, les blattes, les pigeons, les fourmis, les vers ; légendaire, qui rappelle les animaux de la Fontaine et les Grands de ce monde bis, avec le chat, le corbeau, le renard, l’ours, le singe, le poisson, le moineau, le chien, l’hirondelle, le cygne, le lapin le lézard à la queue manquante ; surréaliste, qui suggère les marginaux, avec les éléphants, les kangourous, les papillons, les libellules ; gastronomique et plaisant, qui rappelle le bestiaire ferrerien de La grande bouffe où des bourgeois s’enferment dans un huis clos parisien pour les doubles et ultimes plaisirs de la chair et de la chère (Paris est la Ville des lumières et des plaisirs), et qui suggère les bons vivants et les fêtards, avec des pyramides de homards, des coquilles Saint-Jacques, des poissons, des truites en gelée, des anguilles, des volailles, des poulets… Dantzig est un véritable zoologiste et portraitiste qui a bien observé le monde animal et qui, tels les dessinateurs de Disney, le restitue à merveille. Il ne manque pas d’humour et sait ()créer une atmosphère urbaine prenante et plus vraie que nature :

"Oh oh poulette", sifflotait le moineau dans le lierre du square, "Cacac ! Cacac ! Je suis noire, je suis belle et je t’emmerde !", répondit de l’autre côté une foulque, aux grands rires d’un merle qui alla colporter sa réponse sur un balcon en chiant de plaisir.

Il s’essaie même à l’érotisme soft :

Au centre d’une petite place ronde, un papillon de nuit se déshabillait dans la fente d’un arbre dont les branches levées remettaient en place un désordre de feuilles. Il fit glisser sa combinaison brune, laissant apparaître une tenue bariolée. Sortant de la fente, il déploya sa forme d’enveloppe et s’éloigna d’un vol guilleret. "a voté !"

Le Paris des XXIe (siècle et arrondissement)

Le monde des animaux ne fait qu’un avec le monde des hommes. Jules Vernes avait imaginé un Paris au XXe siècle futuriste, le Paris dans tous ses siècles de Dantzig est un Paris contemporain des plus réalistes traversé de part en part. Les lieux cités, monuments, carrefours, quais, places, rues, avenues, arrondissements…, sont foison – la Ville est grande – et mériteraient un plan de Paris – tatoué sur la cuisse comme dans le roman (qui plus est, en couleurs, à la Pierre Dac) – qui serait bien vite noirci, symbolisant un Paris dense et dantziguien. Ce Paris est celui de la Comédie, humaine ou capitale, avec des hommes et des femmes, parisiens ou provinciaux, qui font leur vie : ils sont au mitan, à la fin ou aux prémices. On y rencontre Victor Vonnevy, romancier vieillissant en manque d’inspiration et qui n’écrit plus, dont Place de l’esplanade est son dernier livre et dont Dernière ville avant la fin du monde est son premier (Dantzig s’amuse à les présenter en désordre). Gabrielle Mattromer, une riche et dynamique galeriste, établie rue des Beaux-Arts, elle-même maîtresse de Xanax, un chat. Victor et Gabrielle sont devenus inséparables :

Depuis qu’ils se connaissent, ils se téléphonent deux fois par jour, charnière du matin, charnière du soir. Ils se sont tellement plu la première fois qu’ils ont dû se reparler aussitôt après le dîner chez des amis communs.

Il y a aussi Ismena, la fragile mère de Gabrielle, victime de la maladie d’Alzheimer, sa fille Irène, étudiante en audiovisuel, Victorien, le fils de Victor, étudiant aux Beaux-Arts et amoureux de Thimotée qui hait « la fidélité, qualité de chien » (Irène et Victorien sont devenus inséparables comme leurs parents et reproduisent le même schéma familial), Wilson, étudiant en gastronomie qui s’adonne aux plaisirs de la bonne chair et se prostitue. Il y a aussi bis Gaspard, le jeune et petit ami, secret et passager, de Gabrielle, qui, ne tient pas à être présenté à ses amis ; il y a aussi ter Nathan, Marcela, Pierre, Jeanne, Ram… Dantzig arrive à captiver avec ce petit monde dans le grand : il maintient constamment l’intérêt sur la vie de tous ses personnages et augmente toujours plus au fil des pages son emprise sur le lecteur. La fin, histoire dans l’histoire ouvrant sur le futur, surprenante et émouvante, est une pirouette magistrale qui corrobore l’intitulé séculaire. Paris dans tous ses siècles n’est-il pas, littéralement et foncièrement, un roman capital ?

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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