Paule du Bouchet, Le parloir, Marabout (collection La belle étoile), 08/01/2025, 304 pages, 21,90€
Reconnue par ses deux romans à la fois nostalgiques et réjouissants, conçus comme de véritables odes à l’enfance, L’annonce et surtout, La langue de l’hirondelle, tous deux publiés chez Gallimard, Paule du Bouchet aborde avec Le parloir un tout autre registre. Celui d’une femme déphasée, lasse d’une existence monocorde qui, au gré d’une correspondance établie avec un prisonnier, trouvera un atypique chemin de liberté.
Ces besoins d’entrer en relation avec des détenu(e)s, simplement animés par le respect de la personne qui apportent un soutien inestimable aux personnes vivant une incarcération, ne sont pas rarissimes.
Par le biais de maintes associations, nombre d’individus, en majorité des femmes d’ailleurs, établissent depuis longtemps un parcours relationnel à dominante compassionnelle. C’est un peu pour ça et plus encore par un sentiment de vague à l’âme, qu’Isabel a commencé son échange à l’instigation de Violette, une vieille dame chez qui elle avait loué un logis.
Après avoir quitté son mari sur un coup de tête, c’est accompagnée de sa fille qu’elle s’était réfugiée en Bretagne où elle a retrouvé la vie de tous les jours.
Là dans cet Aber proche de l’océan en furie, une autre existence se dessinait.
Sur ce chemin de ronde, qui ne fait aucune ronde mais contourne seulement la pointe, des pensées m’ont traversée. Des petits geysers minuscules et énervés. Me délivrer de moi-même. Aller jusqu’au bout, au-delà du bout. Au-delà du hérissement des rochers, du cercle de l’écume. Aller dans l’océan, comme Crin-Blanc et le gitan Folco, à la fin de l’histoire. C’est ce que j’ai pensé. Mettre une fin à l’histoire, puisque jusqu’alors l’histoire s’était faite sans moi.
Sur de nouveaux rails
Est-ce pour remettre son hôte sur de nouveaux rails que la vieille dame avait évoqué l’idée d’une correspondance avec des prisonniers ? C’est ainsi en tout cas que tout avait commencé. Que l’administration lui avait attribué une correspondance avec un certain Louis Lemaître, détenu pour quinze ans, sous le numéro d’écrou 3123519. Et c’est au déroulé de cette réciproque communication que l’autrice nous convie en alternant les dates du courrier et des visites avec des flash-back sur son passé et l’influence qu’elles suscitent sur sa vie en cours. Tout un parcours parfaitement élaboré et dûment répertorié à l’en-tête de chaque chapitre qui en rend la lecture aussi palpitante qu’aisée.
Car, au terme d’un certain nombre de lettres échangées, il a bien fallu affronter la réalité en face. La rencontre en l’occurrence avec cet inconnu à la Maison centrale de Poissy ce jour de septembre 1994, par lequel l’autrice entame l’ouvrage de main de maître.
Cet homme, elle se l’est représenté de mille façons, mais pas de celle-là. Il y a bien eu une photo d’identité voici quelque temps, mais elle devait être vieille, ou il a grossi, ou il a triché, c’était un autre sur la photo.
Éloquente mise en scène, suivie d’un dialogue qui ne l’est moins.
– Alors, c’est vous ? - Oui, murmure-t-elle d’une voix qui est un souffle. Il la regarde, elle baisse les yeux. – Je vous fais peur ? Elle secoue lentement la tête, se sent pitoyable. – Vous m’imaginiez autrement ? – Oui… Non… Ce n’est pas grave.
Décider ainsi de voir cet homme en prison n’allait pas de soi pour quelqu’un d’aussi indéterminée qu’Isabel qui s’était habituée depuis sa prime enfance à désapprendre, à l’âge où les autres enfants apprennent à parler.
Rien d’un long fleuve tranquille
C’est l’introspection à laquelle se livre l’héroïne de retour dans son refuge de Poullic dont Paule du Bouchet nous dévoile la complexité.
Ma vie, jusqu’à présent, c’est une histoire de fuite et de hasards. Mais que les choses aient pris cette tournure, l’arrivée au bout du Finistère avec ma petite, ce sombre hiver de 1994, la falaise mauve, tout ce qui s’est passé depuis, la correspondance avec le détenu, la demande de parloir, les premières visites à la prison de Poissy, ça ressemble à un destin et le mot me plaît.
Ce destin qui s’entrouvre, fallait-il encore pour le laisser immerger, régler ses comptes avec le passé. Celui d’un père qui ne s’est guère soucié d’elle et d’une famille équivoque dont elle a eu un besoin irrépressible de s’extraire afin d’assurer sa survie. Puis d’une union ratée avec un mari auquel elle ne reproche rien, si ce n’est de ne l’avoir jamais aimé.
Toute une suite d’échecs jusqu’à ce qu’un sursaut ne survienne suite au contact avec un détenu. Un sursaut qui n’aura rien cependant d’un long fleuve tranquille. Si violette avait été ferrée comme elle dit par ses premières lettres dénotant autant d’intelligence que d’authenticité, quelles déconvenues n’eut-elle pas à subir. Que ce soit par quelques missives désobligeantes de la part du prisonnier et davantage lors de certaines visites au parloir comme celle de ce jour de mars 1995 où son humeur méchante n’avait d’égal qu’un odieux franc-parler.
Pourquoi tu viens ici ? Hein ? Pourquoi tu viens t’encanailler avec des types comme moi ? … Eh bien moi, ce ne sont pas des femmes qui me font bander. Ce sont les biftons, les diamants dans un coffre-fort. Les gros coups. Les Braquages. – Vous ne pouvez pas… - M’en empêcher… Ouais. Si je sors je recommencerai. C’est mon adrénaline, mon plaisir. Ma jouissance. La seule.
Une violence, fruit d’un besoin de provocation analysera la jeune femme qui ne l’empêchera pas de retourner le voir. Plus d’une vingtaine d’allers-retours entre la Bretagne et la prison parisienne, signes d’un attachement inconditionnel, jusqu’à cette date du 29 juillet 2000 où l’impensable deviendra réalité.
Une issue qu’on taira volontiers pour en donner la primeur au lecteur, mais dont ne peut qu’apprécier l’habileté narrative comme celle du style et de la construction de l’ensemble du récit. Une bien belle prouesse d’écriture !
Chroniqueur : Michel Bolasell
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