Nour Malowé, Le printemps reviendra, Éditions Récamier, 22 août 2024, 288 p., 20,90€.
Kaboul vacille sous le joug du retour des Talibans. Nour Malowé nous entraîne au cœur de ce chaos, à travers le regard de Marwa, brillante chirurgienne confrontée à l’effondrement de son monde. Un roman poignant qui explore la force des femmes Afghanes face à l’oppression, un hymne à la vie et à l’espoir face aux ténèbres. Un récit poignant, intense, une immersion nécessaire dans le quotidien bouleversé d’un peuple au bord du gouffre.
Le chant brisé de Kaboul
Nour Malowé plante le décor de son récit dès les premières pages, dressant un tableau saisissant de l’atmosphère pesante qui règne sur Kaboul. Le retour imminent des Talibans impose un compte à rebours implacable, chaque jour qui passe semble éroder un peu plus la liberté chèrement acquise. « La radio éparpille les nouvelles. Marwa les accueille, l’humeur délavée. » Cette première phrase résume l’état d’esprit de la population, anesthésiée face à l’inévitable. La peur s’installe insidieusement, infiltrant chaque recoin du quotidien, modifiant les comportements, les perceptions, les relations humaines. « Chaque journée est une surprise, une revanche à venir. »
Le personnage de Marwa, chirurgienne passionnée par son métier, incarne l’espoir d’une nouvelle génération d’Afghanes instruites, ambitieuses et désireuses de contribuer au progrès de leur pays. « J’en ai une furieuse envie, lance-t-elle. De vivre… » Pourtant, l’hôpital où elle travaille, symbole de modernité et de progrès, devient peu à peu le miroir du chaos qui gagne le pays. Le manque de matériel, la fuite des médecins et la désorganisation rampante préfigurent la tragédie à venir. L’auteure décrit avec précision le quotidien de cet hôpital assiégé par un flot incessant de blessés, victimes collatérales de la guerre. La violence s’y invite, brutale, sournoise, détruisant des vies, des espoirs, des destins.
Portraits de femmes : force et résilience
Nour Malowé offre un kaléidoscope de portraits de femmes Afghanes. Des figures fortes, déterminées, luttant avec acharnement pour leur liberté et la sécurité de leurs enfants. On pense au courage de Sahar, défigurée par la barbarie, mais déterminée à affronter l’avenir avec son enfant, une petite fille que le destin a marquée dès la naissance. La douceur et la sagesse de Jamila, infirmière dévouée, l’abnégation et la force discrète de la mère de Marwa ; toutes incarnent l’indomptable volonté des femmes Afghanes de résister face à l’oppression.
Leurs liens tissés de complicité, de solidarité, forment un réseau vital au sein du chaos. « On peut tuer toutes les hirondelles, le printemps viendra quand même, disent les Afghans.” Cette conviction anime Marwa qui s’engage corps et âme pour soulager les souffrances, défiant la terreur grandissante, l’arbitraire, et l’ignorance. Nour Malowé excelle à dépeindre ces relations complexes entre les femmes, un mélange subtil d’affection, de respect et de compétition. L’auteure ne tombe jamais dans le misérabilisme, elle sublime la force intérieure de ces femmes, leur capacité d’adaptation et leur ingéniosité face aux défis du quotidien. Elles forment un microcosme vivant au sein d’un monde qui s’effondre, une lueur vacillant dans les ténèbres.
Amour et incertitude, entre ombre et lumière
L’amour occupe une place centrale dans le récit, un fil fragile tissé d’espoir et de doute, offrant une note lumineuse dans le tableau sombre du conflit. Le lien qui unit Marwa et son mari s’étiole sous le poids des évènements, menaçant de rompre sous la pression des choix impossibles à faire. « Ils décident de faire semblant, dans un tempo infantile. Ils se mentent et ne ressentent aucune honte à le faire. » La culpabilité, l’incertitude, l’appréhension du lendemain noircissent leur amour d’une ombre inquiétante.
L’amour naissant entre Shor et Shafiquillah, teinté de pudeur et de découverte, incarne l’espoir d’une nouvelle génération. Nour Malowé ne nous dépeint pas un amour idéalisé, mais une relation complexe, marquée par les incertitudes d’une situation volatile, l’influence des traditions et les menaces grandissantes. “Ce n’est pas la robe que j’ai choisie.” L’inquiétude de Marwa quant aux choix de sa fille souligne la fragilité de cet amour naissant, suspendu au-dessus d’un abîme.
La menace constante plane sur cet amour fragile, sur l’innocence de Shor face à un monde brutal qui se prépare à les engloutir. Nour Malowé excelle à peindre l’ambivalence des sentiments, les doutes et les espoirs qui s’entrecroisent au cœur de l’adversité. L’amour, tel un papillon fragile, s’élance vers la lumière malgré l’obscurité qui l’encercle. Est-il assez fort pour résister à la tempête qui s’annonce ?
La mélodie du désastre
Nour Malowé orchestre avec maestria une tension croissante, nous entraînant inexorablement vers l’effondrement. Le récit se densifie, les informations du front, distillées par bribes, préfigurent le chaos à venir. La prose de l’auteure se fait plus incisive, les images plus violentes. “Kaboul est exempté de couvre-feu.” L’ironie du constat souligne l’absurdité d’un gouvernement qui refuse de voir l’imminence de la chute. Les personnages secondaires, tels des symboles d’une société déboussolée, s’agitent en vain. Le mari de Marwa, aveuglé par sa foi en la justice et l’espoir d’un visa, devient pathétique dans son obstination face à l’indifférence des ambassades.
La fuite des « têtes pensantes », les rumeurs qui se propagent tel un virus dans la ville, l’abandon progressif des forces de l’ordre : tout converge vers le déclin. Ce beau roman ne cède jamais à la facilité du sensationnalisme, il nous confronte avec justesse aux détails du quotidien, aux choix impossibles que doivent faire les personnages face à la menace : “La peur est une ondée qui ne cesse qu’au printemps. ”
Le rythme du récit s’accélère, les chapitres plus courts créent un sentiment d’urgence, d’étouffement. L’espoir s’étiole ; ne reste qu’une lueur fragile vacillant dans les ténèbres grandissantes. Le désastre annoncé arrive comme un orage inévitable, détruisant tout sur son passage. « Ils sont criminels par goût immodéré de la violence et de la destruction. » Ce constat glaçant de Nour Malowé résonne longtemps après la lecture du livre.
Soumission ou disparition !
Le printemps reviendra est un roman puissant, bouleversant, qui nous immerge avec force dans la réalité d’un peuple confronté à l’horreur et en particulier les femmes qui n’ont plus qu’un seul choix : soumission ou disparition ! Nour Malowé dépeint le chaos et la brutalité de la guerre, mais elle célèbre aussi la force de la résilience humaine, l’indomptable volonté de vivre. L’amour, fragile mais ténu, devient une arme face à la barbarie, un hymne à l’espoir et à la dignité. L’auteure n’a pas la prétention de nous offrir un récit conclusif sur l’avenir de l’Afghanistan, mais elle nous livre une réflexion poignante sur la condition humaine face à l’oppression, l’intolérance et la violence. Le printemps reviendra résonne comme un appel à la conscience collective, un témoignage poignant et nécessaire pour ne pas oublier ceux qui luttent pour leur liberté et leur dignité dans l’ombre du monde.
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