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Nous connaissons tous le récit du procès de Jésus. Selon l’Évangile de Marc, qui est considéré comme le plus ancien, Jésus fut arrêté au Mont des Oliviers par un groupe de juifs armés, sur les ordres de Caïphe, le grand prêtre. Celui qu’on accusait de se prendre pour « Hamachiah » (le Messie), comparut alors devant le Sanhédrin. Faute de pouvoir trouver un chef d’accusation condamnable, Jésus fut livré à Ponce Pilate, alors préfet de Judée, et qui proposa de libérer un de ses prisonniers Pessa’h. Condamné à mort à la place de Barrabas, Jésus fut crucifié selon les modalités d’exécutions romaines, bien que Pilate se soit « lavé les mains » de cette sentence. Cette phrase n’a sûrement jamais été prononcé devant le Sanhédrin, Pilate ne parlait ni hébreu, ni araméen.  

Cet épisode, nous le connaissons par cœur. C’est celui qui a condamné les juifs au titre de coupables éternels, et les manouches à celui de complices malhonnêtes. Le procès de Jésus fut l’histoire d’un seul homme. Et pourtant, on oublie souvent ses conséquences dans la vie des contemporains du prophète. Jacques Schecroun relève le défi de relater l’histoire des oubliés, ceux qui assistèrent au procès de Jésus, ou ceux qui le revécurent à travers leur foi et les persécutions dont ils ont été les victimes.

Les disputes et les déchirements de plus en plus fréquents, à cause de ces Juifs qui ne juraient plus que par celui qu’ils appelaient Yechoua Hamachiah, prenaient un tour parfois dramatique. Des parents reniaient leurs enfants, des enfants reniaient leurs parents, des frères ne se parlaient plus entre eux, on interdisait à des gamins de fréquenter leurs cousins, des beaux-parents d’un époux ne voulaient plus célébrer le shabbat à la même table que les beaux-parents de l’autre, des amis ne se voyaient plus et des rabbins se bagarraient au point quelquefois de se taper dessus. Il n’y avait pas une seule institution qui ne connaissait pas de graves remous et le sanhédrin lui-même n’était pas épargné.

Bien plus que de refaire l’Histoire, l’auteur, dans son roman, nous offre de réelles problématiques théologiques. Le procès juif de Jésus a-t-il vraiment eu lieu ? Jacques Schecroun affirme que non. Loin de l’enseignement traditionnel des Évangiles, il se base sur de solides arguments historiques et théologiques développés à compter des années 1950 par des universitaires français et étrangers, tels que E.P. Sanders, universitaire américain reconnu pour sa reconstitution de la « figure historique » de Jésus. Selon ces théologiens, il serait en effet impossible que le Sanhédrin se soit réuni un soir de shabbat et de Pessa’h, comme l’affirment les Évangiles de Matthieu et Marc, alors que la loi juive impose la tenue des procès dans la journée, et ne doivent pas se dérouler un jour de shabbat ou de fête religieuse. De plus, le lieu de rassemblement du Sanhédrin doit être le Temple, alors qu’il se serait déroulé au palais de Caïphe, le grand prêtre. Finalement, il est impossible que le procès, eut-il existé, n’ait duré qu’un jour. Dans la tradition juive, une sentence de mort – si elle peut être prononcée, car comme certains théologiens affirment que les juifs ne pouvaient pas condamner à mort lors de l’occupation romaine – ne peut être déclarée le premier jour d’un procès.

- Le fait est que sans crucifixion il n’y aurait pas eu de résurrection. - En somme si je te suis, non seulement j’aurai fait crucifier un homme dont la royauté ne pouvait en rien concurrencer celle de l’empereur, mais en plus, ce faisant, je lui aurais rendu un fier service ? - C’est toi qui le dis, lui avait répondu subtilement le commandant. .

Une autre thématique qu’il est très intéressant d’analyser dans Le Procès de Jésus, est la façon dont les Romains sont représentés dans l’Histoire et dans les Évangiles, ce qui nous amène à nous interroger sur un sérieux problème d’exégèse. Quels ont été les réelles motivations des évangélistes ? Jacques Schecroun aborde cette réflexion, en proposant une réécriture de l’Histoire de la part des Romains afin de se disculper de la mort de Jésus, un événement totalement infondé historiquement. En réalité, il semblerait que la représentation plutôt positive des Romains soit due à une volonté des évangélistes de convertir les Gentils au message prophétique du Christ. En effet, les pratiques juives sont expliquées dans l’Évangile de Mathieu, ce qui semble indiquer que les lecteurs n’en avaient pas connaissance. De plus, ce sont les juifs qui sont majoritairement visés comme coupables de la mort de Jésus, autant le grand prêtre Caïphe que le peuple qui préféra la libération de Barrabas à la place de celle de Jésus.

Ces deux réflexions ne sont que des exemples parmi les nombreuses réflexions théologiques abordées dans le roman de Jacques Schecroun. À travers sa réécriture romanesque de l’Histoire, l’écrivain nous pousse à questionner sur ce prétendu procès de Jésus. En se concentrant sur les personnages oubliés des évangiles, il offre un nouveau point de vue de l’Histoire chrétienne, incitant à étudier les Ecritures avec esprit plus critique et un scepticisme historique.

Schecroun, Jacques, Le procès de Jésus, Albin Michel, 30/03/2022,1 vol. (365 p.), 21,90 €.

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Éliane Bedu

Présidente de Mare Nostrum

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