L ’histoire est une passion française. La France, ce vieux pays sédimenté de tant d’apports, de tant d’évènements, de tant de fractures et révoltes, fait en effet l’objet de discussions nombreuses sur son passé, entre, notamment, les tenants d’un roman national et ceux qui sont historiens. Ces derniers ont raison de dire que l’histoire n’est pas un roman, mais une science ; l’histoire recherche, par la critique des sources, la réalité complexe du passé (et non une quelconque vérité). L’historien n’est pas un idéologue ou un bateleur, ni d’ailleurs un politique. Il peut certes prendre parti, dans le cadre d’un discours s’appuyant sur la rigueur scientifique et sur une excellente connaissance des documents. Il doit surtout faire œuvre de pédagogie, et vulgariser ce qu’il maîtrise.
Le Puy du faux est un livre de quatre historiens universitaires qui ont enquêté sur le célèbre parc d’attractions qui a pour thème central une certaine vision de l’histoire : le Grand Parc du Puy du Fou, créé par Philippe de Villiers en 1989 (le parc étant l’extension de la cinéscénie née de son imagination en 1978). Ces spectacles – dont il convient de dire ici (comme d’ailleurs le rappellent à de nombreuses reprises les auteurs) leur très grande qualité technique – se fondent sur une vision particulièrement biaisée de l’histoire, nourrie par une idéologie à la fois conservatrice et nationaliste. C’est en ce sens que cet ouvrage est utile : il montre que les discours, les thématiques, l’ambiance même du parc, ne sont pas de l’histoire, contrairement à ce que veulent faire croire leurs concepteurs. Les visiteurs ne viennent pas apprendre, ni même se divertir en apprenant. Ils sont confrontés, souvent à leur insu, à des mystifications ou des récits historiques de carton-pâte.
Une Histoire-péplum
Outre l’introduction qui expose notamment la méthode d’enquête, l’ouvrage est composé de sept chapitres.
Le premier chapitre (« Le parc des enracinements ») explique en quoi le Puy du Fou est le parc du roman national : celui-ci raconte une histoire passéiste, forgée par l’École de la IIIe République qui voulait promouvoir les grandes figures historiques et les grandes victoires, « en insistant sur la continuité d’une ‘nation française’ existant depuis les Gaulois » ; en somme, une histoire qui se fonde sur des clichés et qui jamais ne s’appuie sur les acquis de la recherche historique. Comme l’écrivent avec raison les auteurs, « le plus problématique, dans le roman national, ce n’est pas qu’il soit national : c’est qu’il s’agisse d’un roman, autrement dit d’une fiction. Pour le dire autrement, ces images sans cesse mises en avant sont certes familières, et donc dotées d’une force de séduction considérable, mais elles n’en sont pas moins fausses ».
Car comme le montre le deuxième chapitre, le parc d’attractions vendéen instaure « l’illusion du vrai ». Les auteurs détaillent ainsi les approximations, le mélange de fiction et d’histoire. Des fascicules pédagogiques sont par exemple édités à l’attention du jeune public : celui qui s’appuie sur le spectacle romain, « Le signe du triomphe », est composé d’erreurs factuelles importantes : Jules César devient ainsi un Empereur (alors que l’Empire romain ne sera créé qu’une trentaine d’années après le début de la Guerre des Gaules) ; la carte voulant contextualiser le spectacle représente justement l’Empire – un Empire d’ailleurs divisé en deux (Empire romain d’Occident et d’Orient) et mis en place progressivement à partir du IVe siècle après Jésus-Christ… Dans ce même fascicule, on prétend qu’il existait alors des arènes oblongues – une manière de rendre l’amphithéâtre du Puy du Fou, lui aussi oblong, vraiment authentique. Par ailleurs, le spectacle à l’ambiance gallo-romaine (style péplum des années 1950) vise à faire croire aux spectateurs que le camp du bien est composé de Gaulois déjà unis et chrétiens face aux oppresseurs romains.
Dans le troisième chapitre (« Un passé dépassé »), il est mis en évidence le fait que le Puy du Fou, à travers ses spectacles, impose une vision non pas historique mais passéiste – une histoire racontée qui se veut rassurante et simpliste : « d’un spectacle à l’autre, c’est en réalité toujours la même histoire qui se rejoue, celle de la lutte de valeurs qui est censée susciter immédiatement l’identification du public (…). Le récit historique est réduit à une opposition entre des attitudes binaires, ancrées dans une éternité absolue ».
Le quatrième chapitre analyse « le genre du parc » : dans les spectacles, et même dans l’ambiance générale, les femmes sont assignées à un rôle passif, un rôle traditionnel, là encore dans le cadre d’une histoire immobile. Comme si leur condition n’avait pas connu d’évolutions entre l’Antiquité, le Moyen-Âge, l’époque moderne ou les périodes plus récentes. Les petites filles qui viennent visiter le parc auront forcément comme unique modèle celui d’une princesse de conte de fées. Les reines évoquées (ainsi l’épouse de François 1er) sont réduites à leur physique, forcément sublime. Ce qui semble donc dominer, c’est une vision traditionaliste de l’histoire, là encore désincarnée et sans nuances.
Une Histoire traditionaliste
D’ailleurs, les rapports sociaux sont toujours décrits de façon binaire (chapitre 5 : « Peuple et élites ») : « De braves villageois qui ne pensent qu’à danser aux courageux aristocrates qui incarnent les valeurs les plus traditionnelles en passant par un florilège terriblement classique d’artistes et d’auteurs, on retrouve une même volonté d’idéaliser la société, de proposer des visions lisses, sans tensions, sans aspérités, sans surprises. Les spectacles du parc offrent ainsi une série de clichés, profondément naïfs et très éloignés de ce que l’on sait réellement des sociétés du passé, le tout au service d’un discours qui exalte pêle-mêle la gloire de la royauté, les mérites de l’aristocratie et la joyeuse simplicité d’une communauté rurale idéalisée ».
Au Puy du Fou, « le local » est le « dernier bastion contre le monde extérieur » (chapitre 6). Philippe de Villiers, dans une interview, affirme que « la Vendée est une belle miniature française » : le parc d’attractions vendéen peut donc être un condensé de ses visions idéologiques où toujours ce qui n’est pas local apparaît comme une menace. Ainsi dans les spectacles, les éléments perturbateurs viennent de l’extérieur : les Anglais pendant la guerre de Cent Ans, les Allemands pendant les deux conflits mondiaux, les révolutionnaires, les Romains. « Pas de différence entre les ‘Bleus’ qui franchissent la Loire pour venir à bout des troupes de Charette et les sanguinaires vikings qui troublent la fête du village ». Le Puy du Fou apparaît comme un refuge face à toutes ces menaces.
Dans le dernier chapitre (« Dieu et la Nation »), les auteurs montrent que le parc vendéen forge l’idée « d’une France éternelle, qui, solidement soudée autour d’une famille royale toujours unie et d’une foi chrétienne toujours unique, saurait traverser le temps ». Le christianisme apparaît en effet comme l’élément fondateur de l’identité française.
À la suite d’une conclusion qui insiste sur les dangers de telles réécritures de l’histoire, les auteurs proposent un fort intéressant épilogue dans lequel ils imaginent des scénarios de spectacles fondés sur la recherche historique. Cette démarche – déjà initiée en d’autres lieux (songeons par exemple à l’extraordinaire reconstruction du château fort de Guédelon) – vise à montrer qu’il est possible de s’amuser de reconstitutions historiques qui font sens.
Dans une interview récente (La Vie, Juillet 2022), l’historien Patrick Boucheron, dit à juste titre que « le Puy du Fou est une utopie (…). Les gens viennent surtout pour le grand spectacle et non pour y trouver un certain rapport à l’histoire, néanmoins de plus en plus manifeste ». Il est vrai que la plupart des spectateurs ne sont pas dupes de telles manipulations. Mais ce livre, salutaire, permet de se garder d’une histoire émolliente, surannée et idéologique.
Besson, Florian, Ducret, Pauline, Lancereau Guillaume, Larrère Mathilde, Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Les Arènes, 24/03/2022, 1 vol. (193 p.), 18 €
Chroniqueur : Alexandre Blaineau
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