Jabbour Douaihy où l’art d’attiser la curiosité du lecteur. Voilà comment pourrait se résumer l’écriture fictionnelle de cet auteur libanais, récemment décédé, qui compte parmi les meilleures plumes d’un pays pourtant prolixe en acteurs littéraires.
Singulier dans sa façon de concevoir sa trame rédactionnelle, disions-nous, l’auteur l’est tout autant par ses choix présentatifs. Comment expliquer autrement l’illustration du « Joueur de violon » de Chagall en couverture de l’ouvrage comme son intitulé « Le roi des Indes », quand l’essentiel du récit se situe aux alentours d’un petit village des hauteurs du Liban ?
De la même manière, ébauchée par un crime dès les premières pages, comment cette histoire navigue – fort judicieusement d’ailleurs –, entre un succédané de thriller et une saga familiale des plus hétéroclites ?
La réponse en fait, nous est donnée par un entretien de l’auteur à « L’Orient le jour », journal auquel il a longtemps collaboré dans son supplément littéraire.
« Dans ma mouture narrative, je fugue et fais l’école buissonnière. Je refais le monde et ne veux pas être prisonnier de mon intrigue de base afin de préserver l’intérêt du lecteur », expliquait-il.
Un objectif défini pour chacun de ses précédents romans et pleinement matérialisé dans son ultime opus.
Aux confins d’une enquête policière et du vécu de divers protagonistes, l’histoire s’ordonnance autour de Zakaria Moubarak, un Libanais revenu dans son village natal, dont on retrouve le cadavre dans un terrain en friche familial.
A priori, on l’a dit, un banal récit criminel dont l’auteur va toutefois progressivement se distancier en ouvrant une multitude de portes qui agrémentent, de page en page, son intérêt. Dès l’entame, l’énigmatique portrait du héros taiseux, indifférent aux attentions de sa sœur et de sa tante, qui n’est de retour « dans sa maison, son village, que pour pouvoir simplement s’asseoir le matin sur le banc de bois, sous le noyer », délivre une ambiance singulière.
En dépit de son apparent détachement, on sent bien que ce Zakaria, impénitent aventurier, était porteur de biens des secrets que l’auteur va s’attacher à détailler.
Ceux de contentieux familiaux en l’occurrence, auxquels s’agrègent d’incroyables destinées comme celle de la grand-mère Philomène, devenue richissime d’un long exil New-Yorkais, qui livra à son fils une lettre testament des plus ambiguës.
Mon cher fils Jibraïl, je te souhaite bonheur et longue vie. Sache que lorsque j’ai construit cette maison, j’ai déposé un coffret de livres d’or anglaises dans ses fondations. Creuser le sol pour exhumer cet or entraînerait la ruine de la bâtisse, je ne te conseille surtout pas de le faire. Tu ne dévoileras ce secret qu’à ton fils aîné, qui lui-même le transmettra à son fils…
Sujette à confusion, la missive ne va cesser d’exacerber les tensions interparentales et accentuer les conflits. Sous la houlette d’un inspecteur scrupuleux, qui tenait là sa première véritable affaire, l’enquête transitera d’une vendetta familiale au règlement de comptes mafieux lié à la toile d’un Chagall volé.
Par flash-back interposé, c’est l’occasion pour l’auteur de nous conter l’idylle entre Zakaria et Mathilde, la détentrice du tableau qui s’avérera être un faux.
D’une anecdote à l’autre, le récit multipliera ainsi les vicissitudes du protagoniste aux multiples maîtresses comme autant de rebondissements.
Avec un style aussi fluide que le cours de ses intrigues, Jabbour Douaihy semble ainsi prendre un vif plaisir à relancer les péripéties du récit. Une longue et prégnante histoire dans ce Liban cosmopolite où l’ancestral conflit confessionnel entre Druzes et Maronites viendra même se mêler.
Jusqu’à ce que la fin – mais y a-t-il vraiment une fin ? – ne laisse le juge d’instruction emporté dans un tourbillon d’énigmes. Sans altérer pour autant l’agrément d’un roman dont la verve d’écriture n’a d’égale qu’un intense enivrement.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Douaihy, Jabbour, « Le roi des Indes », roman traduit de l’arabe (Liban) par Stéphanie Dujols, « Sindbad – Orient des livres (L’) », Bibliothèque arabe. Littératures, 06/10/2021, 1 vol. (221 p.), 21€
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