Alaa El Aswany est sans doute l’un des plus brillants auteurs du monde arabe. Son roman “L’Immeuble Yacoubian” (Actes Sud, 2005) révéla au monde entier son talent de conteur mais aussi de sociologue, à même de saisir avec beaucoup de finesse la diversité de la société égyptienne. Vivant et travaillant au Caire, il chroniqua la révolution de 2011 et s’intéressa ensuite à la question de l’intégrisme islamiste dans “Extrémisme religieux et dictature” (2014). Avec “Le Syndrome de la dictature”, l’écrivain revient sur le sujet de l’autoritarisme en modifiant son angle d’attaque. Abordant la dictature comme une maladie récurrente de l’histoire humaine, il se propose, chapitre après chapitre, d’en disséquer les symptômes, partant du principe que seul un diagnostic clair permettra d’imaginer des remèdes possibles.
L’auteur se place dans le sillage de l’humaniste français Étienne de la Boétie qui, dans son “Discours de la servitude volontaire”, avançait la thèse selon laquelle l’émergence de tout autocrate était inextricablement liée à la renonciation consentie de la population à certaines de ses libertés. Un tyran aura les coudées d’autant plus franches que le peuple sera prêt à le soutenir jusque dans ses pires exactions. Aucun despote ne peut se maintenir au pouvoir uniquement par la force. Il lui faut nécessairement obtenir l’adhésion la plus large possible des masses, par le biais de divers stratagèmes que l’auteur détaille minutieusement.
Pour illustrer son propos, Alaa El Aswany évoque bien sûr les dirigeants qu’a connus son pays – Gamal Abdel Nasser, Hosni Moubarak, et aujourd’hui Abdel Fattah al-Sissi – mais aussi d’autres figures tristement célèbres du XXe siècle de Mussolini à Khadafi en passant par Saddam Hussein ou Nicolas Ceauşescu. Les nombreuses anecdotes, souvent méconnues du public occidental, rendent la démonstration aussi limpide que passionnante à lire.
Animé par un authentique souci pédagogique, l’auteur invite à une remise en question permanente. Chez celles et ceux qui vivent sous une dictature, le développement de l’esprit critique est la condition “sine qua non” pour sortir de l’état d’emprise dans lequel le tyran les a plongés. Il faut que les yeux se dessillent pour commencer à secouer le joug.
À l’heure où les théories du complot, favorisées par les réseaux sociaux, infusent dans toute la société, Alaa El Aswany rappelle avec raison que le conspirationnisme a toujours été l’arme favorite des dictateurs. Agiter le spectre d’une menace qui mettrait en péril la sécurité de la nation, permet au chef de se présenter comme l’ultime rempart. L’auteur cite les propos du Président Moubarak juste avant sa destitution : “Les Égyptiens ont à choisir entre le chaos et moi”. Sous prétexte de la menace, le dictateur peut ainsi suspendre les libertés, pratiquer la censure et justifier ses échecs qu’il imputera systématiquement à l’action souterraine des traîtres au régime.
La liste des symptômes recensés dans cet essai doit bien demeurer à l’esprit de tout un chacun. Même en démocratie, il faut s’astreindre à un effort quotidien de vigilance et adopter en toutes circonstances un “scepticisme salutaire” selon la formule de l’auteur. L’histoire a prouvé qu’en matière de dictature, aucun pays n’était jamais à l’abri de la menace. Comme Alaa El Aswany, tâchons donc de garder l’œil ouvert.
Jean-Philippe GUIRADO
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Aswany, Alaa el-, « Le syndrome de la dictature », essai traduit de l’anglais par Gilles Gauthier, Actes Sud, 03/06/2020, Disponible, 1 vol. (203 p.), 19,80€.
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