C’était une voix reconnaissable entre toutes, qui vous saisissait aux tripes pour vous emmener dans le plus merveilleux des mondes, celui de la poésie, pour vous y murmurer tout le tragique et la tristesse de l’exil et de la perte, mais aussi toute la beauté des choses simples que recèle chaque jour et chaque minute. Mahmoud Darwish reste pour beaucoup, à son corps défendant, “le poète de la Palestine”, et dans ce livre hommage, il est raconté par ceux, amis et critiques littéraires, qui l’ont connu, traduit, aimé, accompagné, et dont les contributions dévoilent avec érudition et tendresse l’homme, son vocabulaire, les sens et l’essence de sa poésie. Un joli voyage dont on n’a pas envie de revenir, tant la rencontre est belle. Et son Verbe immortel.
Cet ouvrage collectif apporte d’abord un éclairage riche et fécond sur le sens que Mahmoud Darwish assignait à la poésie. Le pouvoir des mots, il en prend en effet conscience très jeune, alors qu’il récite à l’école, devant un gouverneur militaire israélien, un poème de sa composition, dans lequel il se plaint du vol des terres. Il est pour cela réprimandé par le maire inféodé aux forces occupantes, et prend soudain conscience que son père pourrait en être puni en étant privé de son travail. Dès lors, ainsi que l’écrit Hassan Khader, il réalise que “la composition de mots à partir de lettres et de sons était un jeu dangereux (…) qui donnait au marginal et au marginalisé le sens de la dignité, et que la dignité était contagieuse”. Cet événement sonne comme un acte fondateur, qui lui fait prendre conscience de sa voix individuelle et de la voix collective dont il sera un des plus grands hérauts et héros, à tel point que, ainsi que l’écrit Edward Saïd dans un texte hommage inédit, pour “Mahmoud Darwish, la poésie n’offre pas seulement un accès à une perception inhabituelle, ni à un monde lointain minutieusement façonné, mais un amalgame obsédant de poésie et de mémoire collective, chacune pressant sur l’autre”. Même si son destin et ses textes étaient intimement liés à la tragédie palestinienne, “il en appelait néanmoins à lire la poésie palestinienne comme faisant partie de la scène poétique arabe en général et à l’apprécier selon les canons de la poétique arabe, son legs et son histoire, et non à partir de considérations politiques et de parti pris nationalistes”. Élias Sanbar écrit, quant à lui, plus loin que si la Palestine fut sans conteste le terreau de sa créativité, elle croise les tragédies d’une nation et de l’Humain, d’où la vigilance à toujours “rectifier le titre de poète palestinien par poète arabe de la Palestine. Mahmoud fut un poète arabe de la Palestine”.
Le livre revient aussi, avec force analyses de textes et de poèmes, sur les principales thématiques de l’œuvre de Mahmoud Darwish. René Corona et Sinaan Anton développent ainsi celle de l’exil, du déplacement permanent : un exil géographique (Mahmoud Darwish aura vécu à Beyrouth au début des années 1970, puis avec la guerre civile libanaise, au Caire, à Tunis, puis à Paris), un exil de l’homme parmi ses semblables, un exil du territoire de l’enfance (René Corona rappelle des textes poignants à ce sujet). Autant d’exils qui entraînent in fine un effacement du nom, du lieu et de l’identité, effacement que Mahmoud Darwish énonce dans beaucoup de textes, dont “Murale”, qu’il lira les larmes aux yeux, c’est ce que raconte Farouk Mardam-Bey à la fin de son dernier récital à Paris, en octobre 2007 au théâtre de l’Odéon : “mon nom ne m’appartient pas / Mais moi, désormais plein / De toutes les raisons du départ, moi / je ne m’appartiens pas / Je ne m’appartiens pas / Je ne m’appartiens pas….”.
Aurélie Hartzel revient quant à elle sur le lien que faisait Mahmoud Darwish entre son histoire personnelle et certains récits de la Bible, et sa proximité avec la figure de Jésus, dont il disait dans un entretien à Libération en mai 2003, qu’il “est un état poétique à lui tout seul, c’est l’ami des faibles, des démunis, des solitaires : en cela il est un symbole de tolérance et d’unité de l’humanité”. Une unité que Mahmoud Darwish incarne aussi, lui qui écrit dans “La Palestine comme métaphore” :
“En bon palestinien j’ai toutes les religions en moi (…). Je parle en chrétien et sans hésiter non plus j’utilise la mythologie et le patrimoine juif. Mais le Messie a une dimension supplémentaire : la souffrance. Il est pour moi un modèle : il m’apprend à tenir bon et à pardonner. Il m’encourage à publier des carnets d’amour et de tolérance”.
Il est difficile de rendre compte ici de tous les thèmes développés par le livre, mais il en est un, essentiel pour comprendre l’œuvre de Mahmoud Darwish, c’est celui du rythme de ses textes et de la voix, inoubliable, avec laquelle il les lisait. Comme l’écrit Élias Sanbar, “le rapport fondamental des admirateurs à Darwish était auditif : les lecteurs adhéraient à son œuvre par sa voix”. Farouk Mardam Bey l’évoque aussi : “la poésie commençait chez lui par une cadence avant de se vêtir de mots et de métaphores”. Poète lyrique, écrivant les drames intimes autant que les épopées, Mahmoud Darwish n’aurait pas renié ces mots, lui qui disait de lui-même : “j’ai en moi un trop-plein de chant. J’ai besoin de l’exprimer (…). Ça chante, ça chante et je n’y peux rien”… Pour notre plus grand bonheur.
Hanane HARRATH
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“Cartographie de l’exil : lectures de l’œuvre de Mahmoud Darwich”, ouvrage coordonné par Kadhim Jihad Hassan, Sindbad & Institut des études palestiniennes, “Bibliothèque arabe. L’actuel. Etudes palestiniennes”, 03/02/2021, 1 vol. (187 p.), 19€.
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