Jean-Paul Vesco, L’audace de la fraternité. Éditions du Cerf. 28/08/2025. 184 pages, 14,90€
Le livre du cardinal-Archevêque d’Alger, L’audace de la fraternité propose d’oser la fraternité dans un monde de divisions, de replis et de tensions. C’est également une invitation à la réflexion autour de la notion d’engagement chrétien au-delà des frontières et des religions, dans des milliers divers, et dans des contextes où les différends peuvent être des freins à la fraternité. Le livre paraît au moment où les enjeux interreligieux, de migration, de fraternité sont particulièrement sensibles. Le risque est que certains réflexes sociologiques ou politiques changent rapidement. Le style paraît direct, humain, sans jargon surchargé. Le Dominicain Jean-Paul Vesco est archevêque d’Alger. Il est engagé depuis de très nombreuses années dans les relations interreligieuses, dans un pays à large majorité musulmane. Cela lui donne une légitimité forte pour parler de fraternité, de dialogue, d’ouverture. Le style est celui d’un entretien suivi d’analyses rend les propos de l’auteur plus personnels et moins théoriques.
Le thème de la fraternité se dégage comme l’élément autour duquel ce livre est organisé
Les replis identitaires, les guerres, les différences religieuses ou culturelles appellent des commentaires nombreux qui partent parfois dans tous les sens. L’invitation à la fraternité est selon Mgr Jean-Paul Vesco plus que nécessaire aujourd’hui. C’est un engagement de tous les jours. Le livre est un plaidoyer pour mettre en chemin un dynamisme à une forte dimension humaine et spirituelle incontournable. Cette dimension rejoint l’Évangile et l’esprit dans lequel le Pape François avait proposé un chemin pour l’Église ; et principalement autour de la Méditerranée. Le titre même questionne « Où est mon frère ? Où est ma sœur ? » sont des questions simples et profondes que l’évêque dominicain reprend de la bouche même de Jésus-Christ.
Dans sa première Partie, l’auteur raconte sa trajectoire, ses combats, son engagement en terre musulmane, en Algérie. Cette partie autobiographique dans lequel il retrace son parcours de juriste-avocat, de Frère Prêcheur, de Provincial des Dominicains de la Province de France (Paris), d’Évêque d’Oran puis d’Archevêque d’Alger. Il évoque ses combats et ses actions menées dans le dialogue interreligieux, dans l’accueil, auprès des minorités chrétiennes en territoire majoritairement musulman.
Dans la seconde Partie, il rassemble plusieurs textes « audacieux » qu’il a écrits en vue d’une réforme de l’Église, d’une ouverture à la fraternité, à la rencontre, et au dialogue. Il y présente ses réflexions et quelques textes « audacieux » visant à proposer des pistes de réforme dans l’Église pour la rendre plus ouverte, plus simple, et plus fraternelle. L’auteur y interroge de façon directe des enjeux majeurs : Comment promouvoir la paix à l’heure des guerres renouvelées ? Comment susciter la rencontre et le dialogue dans un contexte de tensions religieuses ou culturelles ? Comment réveiller la fraternité dans un monde où prévalent l’individualisme, les murs et les divisions ? La figure de la minorité chrétienne en Algérie, la coexistence des religions, la dignité de l’autre, le signe révolutionnaire de la fraternité dans la vie de l’Église et dans la société sont les autres thématiques autour desquels il élabore sa pensée et promet un plaidoyer pour une Église et un monde à venir.
Avec ses autres frères dans l’épiscopat nommés autour de la Méditerranée par le Pape François il incarne ce chemin. Il n’est pas précurseur en Algérie depuis Saint Augustin. Il convient, ici, de rappeler le souvenir du Cardinal Charles Lavigerie, du Cardinal Léon-Etienne Duval, de Mgr Teissier, de Mgr Desfarges, de Mgr Claverie, de Mgr Michel Gagnon, Mgr Claude Rault… Il s’inscrit dans un vaste mouvement.
L’intérêt du livre concerne la personne même du Frère Prêcheur
Il écrit dans un style simple marqueur d’une posture de modestie et de service. On y discerne la modestie de celui qui se fait un frère parmi d’autres frères… ; y compris quand ceux-ci viennent d’autres confessions. On sait sa proximité avec l’Islam, les confréries soufies, et le Monastère de Tibhirine. Le cœur est ouvert à l’Autre… pour l’Autre. Vu le contexte algérien, la présence musulmane, la situation d’une petite église dans un pays majoritairement musulman, le livre aborde la fraternité en contexte de différence et de minorité. Le fait qu’il parle à partir d’une situation spécifique (Église en Algérie, dialogue avec l’islam) est un atout, mais peut aussi limiter la transposition immédiate à d’autres contextes. Il parle de là où il est, et non pas de la « fraternité en soi ». On parle toujours de là où nous sommes, de la spécificité d’un lieu, dans un contexte particulier. L’évêque est envoyé prêcher l’Évangile et être témoin dans un lieu spécifique où la semence doit germer. L’acte de présence est déjà une belle semence… Dans cet espace particulier le prélat devient et/ou est appelé à devenir un frère pour les autres, et recevoir de l’autre – même s’il est d’une autre religion – les marques fraternelles.
Le plaidoyer est enraciné dans une perspective catholique mais reste ouvert à tout public qui se sent intéressé par la thématique et ses enjeux. Les nombreux textes rassemblés fournissent des éléments de réflexion permettant de mettre en exergue l’audace d’un engagement pour la fraternité. Les actions concrètes restent un peu vagues, et il manquerait à cet endroit d’un catalogue ou des propositions pour aider à la fraternité. Néanmoins, l’auteur ne reste pas dans l’abstrait. Il inscrit la fraternité dans une réalité (guerres, replis, dialogues interreligieux). Il n’atteint peut-être pas la profondeur d’un Traité académique sur la fraternité. Il ne fournit pas non plus toutes les clés concrètes d’application. Il ouvre néanmoins de belles pistes pour ceux qui cherchent une lecture spirituelle et engagée, en lien avec le dialogue interreligieux, pour ceux qui veulent réfléchir sur la fraternité comme valeur centrale pour le monde aujourd’hui.
Le livre L’audace de la fraternité, écrit dans un contexte missionnaire, ne révolutionne pas le concept de fraternité, mais qui remet au cœur de la vie de l’Église et de la société d’accompagner un moment critique dans la rencontre essentielle des peuples surtout sur l’axe Nord-Sud. Il allie le témoignage concret d’un archevêque, d’abord évêque d’Oran puis Cardinal-Archevêque d’Alger, et un appel à l’ouverture. « Qu’est-ce qui fait que nous sommes frères ? », « Comment vivre la fraternité dans un monde brisé ? » en sont les axes principaux qui interrogent le lecteur. Le contexte algérien, la situation d’une Église minoritaire en terre musulmane, constitue à la fois une richesse mais aussi un cadre spécifique.
Il conçoit la fraternité comme porté par un élan « révolutionnaire » et évangélique dans un monde divisé.
L’Évangile en lui-même a cette part de grammaire révolutionnaire. Il pose la fraternité comme pierre d’angle de la vie ecclésiale et sociale, et place le dialogue, l’accueil et la différence non pas comme des obstacles mais comme des lieux d’espérance. Selon lui, l’Église doit être en sortie. Elle doit apprendre à sortir de l’entre-soi, à accepter la vulnérabilité, et reconnaître l’Autre comme une urgence sur sa route. Pour arriver au terme du chemin, il invite à une conversion intérieure (à la fraternité) autant qu’à un changement institutionnel ou communautaire. Cela demande du temps, et ce qu’il exprime dans ce texte évoque plus lointainement le beau texte du Pasteur Dietrich Bonhoeffer sur « La Communauté ». Le livre répond au contexte actuel en traitant la fraternité à l’heure de « guerres renouvelées », du repli identitaire en Europe et dans le Monde, de la polarisation ; ce qui donne du sens et de l’espérance dans un monde qui semble avoir perdu le sens commun et qui avance sans boussole apparente.
Le livre L’audace de la fraternité s’adresse à ceux qui veulent se laisser interpeller par la fraternité comme valeur centrale, et un appel à vivre ensemble autrement. Il incite à changer de regard, à prendre des responsabilités personnelles et communautaires, à croire en la fraternité comme force de changement. L’archevêque d’Alger donne des raisons d’espérer en proposant un horizon de fraternité dans l’urgence. Cela devrait motiver positivement toute personne croyante ou non, et quelle que soit sa confession… « Fratelli Tutti » est là en point de mire…
Chroniqueur : Patrice Sabater
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