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L’Empire de la poussière – Francesca Manfredi

Ce qui frappe à la lecture de ce texte est sa touchante simplicité. Fransesca Manfredi, jeune autrice italienne de 33 ans, ne cède jamais, dans ce premier roman, à l’esbroufe du style ni au sensationnalisme du propos. Pourtant, une subtile alchimie s’opère, faisant de cet « Empire de la poussière » un objet littéraire aussi réussi qu’émouvant.

Valentina, la narratrice, vit avec sa mère et sa grand-mère dans une maison, quelque part dans un petit village italien à la géographie imprécise. Trois générations qui cohabitent sous un même toit, trois femmes qui polarisent le récit par leurs personnalités fortes et singulières. Le quatrième acteur est la maison dans laquelle convergent ces trois trajectoires féminines. La « maison aveugle », telle que la nomment les habitants du village et qui n’hésitent pas à considérer ses occupantes comme des sorcières. Une maison vouée à la décrépitude dans laquelle on s’efforce de vivre en quasi-autarcie, grâce au potager et aux bêtes que l’on élève. Une maison enfin, qui semble animée d’une vie propre et dont les vieux murs font écho aux bouleversements intimes des protagonistes. Les premières menstruations de la narratrice, au début du récit, s’accompagnent de l’apparition simultanée d’une fissure qui saigne sur le mur de sa chambre. Ce phénomène presque mystique est à mettre en lien avec la transformation des eaux en sang, la première des dix plaies d’Égypte. Tout le roman est d’ailleurs bâti autour de ce parallèle avec le texte biblique. La clé en est donnée par la grand-mère, très pieuse, qui recommande à sa petite-fille de lire « l’Exode » jusqu’à ce qu’elle le connaisse par cœur. On voit ainsi, chapitre après après chapitre, les calamités divines s’abattre sur la « maison aveugle » en épargnant le reste du village : invasion de grenouilles, de moustiques, de mouches, mort des troupeaux, furoncles, grêle et autres sauterelles.

Ces épisodes plongent le récit dans une atmosphère onirique qui évoque parfois le réalisme magique sud-américain. On peut y lire aussi une métaphore du pouvoir créateur de l’imagination. Valentina a douze ans et l’une des grandes forces de l’autrice est d’avoir su décrire avec justesse cet âge charnière entre l’enfance et l’adolescence. Contrairement à certains romans où les enfants pensent déjà comme des adultes et se livrent à des questionnements métaphysiques bien peu en accord avec leur âge, ici, la narratrice agit et s’exprime de façon très crédible. Les premiers émois et la découverte de la sexualité, les hauts et les bas de l’amitié sont retranscrits avec beaucoup de justesse.

Autour de cette micro-société matriarcale, les hommes n’ont qu’une place anecdotique, à l’image du père de Valentina, absent la plupart du temps pour ses affaires. La mère, à l’inverse est magnifiquement dépeinte : femme de trente ans devenue mère trop jeune, flamboyante et naïve, encore soumise à la tutelle de sa propre génitrice, aïeule au caractère bien trempé et qui, malgré l’âge et la maladie, continue de régenter la maison.

« L’Empire de la poussière » est un très beau texte sur la difficulté à se construire à l’ombre des pesanteurs familiales, des traditions inamovibles et des rôles assignés par avance. Dans le roman, la maison apparaît comme le symbole de ce lourd passé avec lequel il faut sans cesse composer :

Cet endroit…cet endroit est comme la poussière. Tu as beau essayer de t’en débarrasser, elle revient. Et tu dois tout recommencer. Indéfiniment.

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Francesca Manfredi vit à Turin et enseigne à l’école Holden. Elle a publié des nouvelles dans le « Corriere della Sera », dans le magazine « Linus » et dans l’anthologie « Brave con la lingua » (2018). Elle a reçu le prix « Campiello Opera Prima » pour son recueil de nouvelles « Un bon endroit pour vivre » (à paraître dans la collection « Pavillons »). « L’Empire de la poussière » est son premier roman, et sa première traduction en français.

Manfredi, Francesca, « L’empire de la poussière », traduit de l’italien par Lise Caillat, Robert. Laffont, « Pavillons | Romans », 07/01/2021, 1 vol. (207 p.), 19,00€

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