Christophe Alévêque, L’enfant qui ne parlait plus, Le Cerf, 12/01/2023, 1 vol. (341 p.), 20,90€.
Un grand humoriste cache souvent un cœur sensible », indiquait l’éditeur dans la note introductive de l’ouvrage au sujet de son auteur, acteur et humoriste.
C’eût pu être en effet, le titre du roman, tant à l’image de la figure emblématique qu’est un clown de cirque, Christophe Alévêque ait choisi l’écriture pour brusquement tomber le masque. Car, le fait que ce récit entrepris à l’origine sous forme fictionnel ait ensuite été rattrapé par une réalité familiale en accentue d’autant sa dimension poignante. L’auteur était en effet dans la rédaction du roman quand il apprit que son fils souffrait du même mal que le petit garçon dont il va décrire le calvaire.
Dès l’entame, le ton est donné. Ce ne sont plus les réparties de l’amuseur ou du rebelle caustique qui occupent le devant de la page mais des mots d’une force brute. « L’homme saisit la hache de ses deux mains et, aussi naturellement que s’il avait utilisé une clef, défonce la porte avec une extrême violence ». Une attitude explicitée quelques phrases après : « Lui, l’homme au caractère docile, incapable de la moindre violence, blagueur, optimiste et attachant, le bon copain, le père de famille aimant… s’est transformé en son extrême opposé ».
Comment en est-il arrivé là ? Les raisons sont aussi multiples que légitimes. Après la mort accidentelle d’un premier enfant, le second, Albert, est devenu mutique, conséquence d’un choc post-traumatique. Et si le diagnostic du spécialiste n’est pas alarmant, il n’est pas davantage réconfortant.
Votre enfant s’est installé dans le mutisme parce qu’il y trouve du réconfort. Ce n’est pas un choix de sa part, c’est une des plus anciennes réactions de défense de l’organisme vivant. Le problème c’est que plus le temps passe, plus il s’installera dans le silence et plus il sera difficile de l’en sortir…
Ce sera le tournant charnière de l’attitude du père. Parce qu’il refuse la solution médicamenteuse comme il veut se dépêtrer de l’auto-accusation qui le ronge, Alexandre va relever le seul défi possible, celui de la survie.
« Avec mon fils et ma culpabilité, nous formons un trio de survivants. À croire que je me suis découvert une vocation tardive de martyr… Stop. Arrête de t’apitoyer sur ton sort. Fais preuve d’imagination pour une fois dans ta vie. Albert est ta seule raison d’être. Occupe-toi de lui au lieu de jouer les victimes », tranchera le père dans un style télégraphique.
Pour obtenir coûte que coûte la guérison de son fils, ce dernier va dès lors amorcer un périple loufoque aux confins du rocambolesque et de l’absurde.
D’une région à l’autre, un road-movie itinérant va ainsi alterner avec une série d’étranges rencontres. Celle d’une psychologue en quête d’amour, d’un moine en rupture de ban, d’un singe facétieux ou encore d’un colosse ex-taulard, dont on savourera chaque description.
Lui, c'est le tatoué, ici c'est comme ça que tout le monde l'appelle. Une force de la nature, il peut tordre une barre de métal avec ses mains. C'est un bon gars, il a l'air un peu bourru comme ça, mais il est travailleur. C'est un homme de confiance, même s'il a fait de la tôle. Il se tient à carreau depuis qu'il est dehors. Hein Dragos, fini les conneries ! Je ne sais pas ce qu'il a fait pour se retrouver derrière les barreaux et je ne veux pas le savoir. Je ne connais même pas son nom de famille. Ici, c'est pour ainsi dire comme à la légion, ceux qui entrent n'ont pas de passé.
Par son côté burlesque et irrévérencieux multipliant les coups de théâtre, le récit s’apparente un peu à celui du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson. Un scénario plein de rebondissements et de fantaisie qui n’en recèle pas moins une infinie tendresse.
Une tendresse régulièrement exacerbée au fil des chapitres qui s’achèvera par le plus touchant des happy ends, lorsque durant un séjour à La Réunion, le père affrontera les pires risques pour déclencher, enfin, la réaction de son enfant. Touché par un requin, son bras droit sanguinolent, le papa est au bord de la rupture quand soudain quatre lettres déchirent le soleil et la mer. Papa !!!
Albert se jette à l’eau sans que personne n’ait le temps de s’interposer. Il nage en direction de son père qui est parvenu, malgré les remous à entendre la voix de son fils. Ignorant le monstre marin qui fonce sur lui, Alexandre sourit et lève les yeux vers l’infini. Il éprouve un tel sentiment de délivrance que son bonheur va percuter les étoiles, un bonheur éternel, presque inhumain.
Ainsi se clôturera ce beau roman apte à séduire tout genre de lectorat, dont on peut aisément déflorer l’issue tant le reste des 350 pages surabonde de savoureuses péripéties.
Le plus émouvant des contes pour exprimer l’acharnement à surmonter l’inéluctable et traduire la quête irrépressible de la paternité…
Chroniqueur : Michel Bolassell
NOS PARTENAIRES
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.