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L’envers du peloton révélé dans un récit haletant

François-Guillaume Lorrain, Roues libres, Éditions du Cerf, 24/04/2025, 256 pages, 19,90 €

L’image de couverture d’un cycliste dépourvu de tout logo publicitaire donne à elle seule la raison d’être de l’ouvrage. S’il évoque l’environnement du sport cycliste au sens large, Roues libres, n’a rien, en effet, du récit apologique de champions.
Plutôt que de concourir à l’héroïsation de ces forçats de la route, comme les qualifia jadis Albert Londres, le livre s’attache à définir les multiples volets de la discipline et la plongée dans ces arcanes s’impose, de fait, comme un vrai tour de force.
À vrai dire, l’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Rédacteur en chef des pages Histoire au Point, François-Guillaume Lorrain avait abordé dans Le garçon qui courait, roman d’un marathonien aux pieds nus lors des Jeux Olympiques de 1936, le secret de l’athlétisme pour mieux le magnifier. Et c’est à l’image d’une approche sportive singulière que ce dernier structure son récit sur l’aventure cycliste.
Une discipline des plus populaires, relayée certes par pléthore de médias écrits ou télévisuels mais qui ne pénétrait pas pour autant au cœur du sujet. Ce que révèle judicieusement l’auteur via maintes questions. Comment par exemple, les coureurs appréhendent-ils les diverses épreuves ? Que se trame-t-il au sein des équipes ? Quels sentiments éprouvent cette meute transpirante au gré des étapes ? Et surtout, comment intériorisent-ils les nombreux dangers auxquels ils sont confrontés ?
La hantise de ces terribles chutes, notamment, qui font d’ailleurs l’objet de l’en-tête du livre avec la mort du champion Gino Mâder lors d’une descente du tour de Suisse. Avec le commentaire explicite de ses équipiers désemparés.

Aujourd’hui, ces hommes-fusées auront été exagérément lents. Leur manière de porter un brassard noir. De dire aussi leur peur et leur impuissance. Leur réponse à ces vitesses insensées affichées par le compteur des motos qui peinent à les suivre dans leurs exercices d’équilibristes. Le spectacle continue ? Il a fait relâche. Pour conjurer le sort il s’est mis au point mort.

Un auteur aficionado

Le premier volet d’une discipline éminemment contraignante donc, qui sera suivi de considérations plus personnelles dans le prologue à tiroirs attestant de la passion indéfectible de l’auteur pour ce sport.
Ainsi, après avoir ouvertement exprimé sa détestation des coureurs espagnols et de la Jumbo-Wisma, l’auteur relatera son attitude de tifosi qui lui fit gravir à pied les sommets de col pour admirer de près, ne fût-ce qu’un bref instant, les escaladeurs en plein effort.
Tous ces excès d’aficionados de la petite reine qu’il va joliment décrire tels qu’il les avait vécus.

À l’approche du champion, l’assistance est en proie à une étrange métamorphose. Chaque spectateur se mue en un atome chauffé par le soleil et, parfois, par quelque liquide qui entre en effervescence, pour s’agglutiner à ses particules voisines. La foule n’est plus qu’une bouillie en fusion. Car c’est bien d’un monstre qu’il s’agit, à mille têtes, saisies d’une fièvre subite.

Soit une perception aiguë de la geste cycliste que François-Guillaume Lorrain va décliner ensuite en autant de micro-nouvelles caractéristiques d’une réelle connaissance du sujet.

L’hymne aux forçats du bitume

Ce besoin qu’éprouvent les gens à inscrire le nom de leurs favoris sur l’asphalte que les cantonniers auront bien du mal à effacer le lendemain. L’attention mise par les photographes accrédités à privilégier les visages empreints de bave et de souffrance qui feront la Une des gazettes. Sans obérer la description de ce ballet bien réglé de publicitaires ou organisateurs qui rivaliseront d’ingéniosité pour promouvoir le spectacle de chaque ville-étape.
Le tout, décrit de façon aussi littéraire que journalistique, comme jadis Antoine Blondin ou Pierre Chany surent si bien le mettre en exergue dans les colonnes de l’Équipe.
Et il en va de même pour la partie Tactiques où chaque mini-chapitre apporte son comptant de justesse et d’attrait, comme l’arme fatale que peut être le vent.

Chaque matin, je consulte la météo. Le vent est un grand capricieux, jamais là où on l’attend. Car le vent bordurier, n’est ni de face ni de dos, mais latéral. C’est un sournois, jamais franc du collier. Méfiance aussi sur les ponts où il aime à s’engouffrer. Qui vive également le long du littoral, le vent du large est assassin. Vigilance, vigilance !

Ces divers pièges démêlés, viendra ensuite un long volet sur les stratégies. Celle des meneurs de train qui pousseront les sprinters en vue de l’arrivée. Celle encore fixée par les directeurs sportifs pour protéger le leader ou le propulser à l’instant-clé en tête de l’échappée. Quand ce ne sont pas les consignes incitant à savoir faire l’élastique, c’est-à-dire savoir gérer son potentiel pour ne pas perdre pied et réattaquer au moment opportun.
Tout un tas de manœuvres parfois payantes ou vouées à l’échec que l’auteur énumère avec maestria. Suivront encore tout un tas de jolies chroniques telles que « La philosophie du frottement », « Hécatombe » ou « Einstein on the road », aussi savoureuses que bien écrites qui font de Roues libres un véritable hymne à la gloire des héros de la petite reine.

Un ouvrage référence pour tous les accrocs et béotiens du cyclisme à l’occasion de cette 112e édition du Tour de France !

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Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

Si vous cherchez un roman qui vous serre le cœur, vous fait voir autrement l’exil, la filiation et la parole des femmes, ne passez pas à côté de Kaïssa.

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