Jokha Alharthi est la première auteure omanaise à avoir été traduite en anglais. Elle a obtenu pour son deuxième roman, « Les Corps célestes », le prestigieux prix Man Booker international qui pour la première fois a été attribué à un roman traduit de l’arabe et qu’elle a partagé avec sa traductrice, l’universitaire d’Oxford Marilyn Booth. Parlant couramment l’anglais, elle a obtenu un doctorat en poésie arabe classique à l’université Édimbourg et enseigne à l’université Sultan Qaboos de Mascate. Elle également reçu le « Prix Sultan Qaboos pour la culture, l’art et la littérature » pour son roman « Narinjah » en 2016.
Au travers de l’histoire de trois sœurs, elle nous raconte la destinée d’une famille omanaise dans la période post coloniale. S’étendant sur plusieurs générations, des dernières décennies du XIXe siècle aux premières années du nouveau millénaire. Il constitue une vision novatrice de la saga familiale.
Construit d’une façon originale, par petites touches successives, avec une retenue dans les descriptions et sans jugement sur le mode de vie des propriétaires d’esclaves despotiques et des femmes captives qui élèvent leurs enfants, ce roman nous montre l’évolution d’une société, avec toutes les contradictions qui l’accompagnent dans ces périodes et les phases de transformation.
Les trois sœurs vivent à Al-Awafi, un village du Sultanat d’Oman.
Maya, fantasme sur un garçon seulement aperçu, mais elle épouse Abdallah qui est épris d’elle et qui se demande si son amour est partagé, ce qui ne semble pas être le cas. Asma, comme Maya, se marie avec celui que ses parents ont choisi pour elle. Elle se réalisera dans ses maternités successives. Khawla, plus rebelle, refuse de nombreux prétendants, car elle est dans l’attente du retour de Nasser, un cousin lointain auquel elle avait été vaguement promise dans son enfance. Il finira par rentrer du Canada, mais elle ne trouvera pas le bonheur auprès de lui.
Les ascendants et les enfants des trois sœurs interviennent à tour de rôle dans le récit, ainsi que ceux qui gravitent autour de la famille, avec, pour compléter le tableau d’anciens esclaves.
Londres, fille de Maya et d’Abdallah, est l’incarnation de la jeune femme moderne, instruite, indépendante, exerçant la profession de médecin. C’est un nom qui provoque les moqueries de la famille mais, qui est autant une promesse à sa fille qu’un acte de rébellion.
Au-delà de leurs histoires personnelles, des thèmes variés sont abordés : tradition et modernité, amour et mariage, relations entre les hommes et les femmes et leurs places respectives dans la société ; esclavage et condition des anciens esclaves, structures familiales, secrets de famille dont certains concernent des actes très graves comme celui entraînant la mort de la mère d’Abdallah.
On trouve aussi l’importance de l’autorité des anciens, le poids de la religion, les relations entre les générations, le rapport au temps, les contraintes qui pèsent sur les individus. Ces trois femmes et leurs familles, leurs pertes et leurs amours, se déroulent magnifiquement sur fond d’Oman en pleine mutation, un pays qui évolue d’une société traditionnelle esclavagiste vers un présent plus complexe. La mort touche toutes les générations. Elle semble être acceptée avec une certaine fatalité.
Ce livre est délicat et poétique. Il nous offre un regard sur une culture relativement inconnue.
Il est original par sa structure et parce qu’il décrit une société particulière, avec des codes qui ne nous sont pas familiers. En même temps, il nous dévoile des sentiments et des comportements humains universels. Ces vignettes sont d’un regard acéré, tranchant et soigneusement déployé dans un puzzle multigénérationnel aussi évasif qu’évocateur.
Ce roman est riche de promesses, et nous révèle à coup sûr l’arrivée d’une grande écrivaine sur la scène internationale.
Robert MAZZIOTTA
contact@marenostrum.pm
Alharthi, Jokha, « Les corps célestes », Stéphane Marsan, traduit de l’arabe (Oman) par Khaled Osman, 24/03/2021, 1 vol. (304 p.), 18,00€
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