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Lorsqu’il meurt à Longwood House, sur l’île de Sainte Hélène, au large de la Namibie dans l’océan Atlantique, le 5 mai 1821, Napoléon dans son exil forcé venait de forger sa légende pour les générations à venir. Deux siècles plus tard, pour le bicentenaire de sa mort, les vaines polémiques qui revisitent le passé à travers la lucarne obscurcie d’une sensibilité contemporaine exacerbée, auraient surpris tous les grands hommes dont l’histoire de France peut se souvenir. S’il s’agit en revanche d’enrichir avec la perspective du recul que donne le temps le portrait de l’empereur des Français, alors sans nul doute, « Les douze morts de Napoléon » de David Chanteranne est une des contributions remarquables de cette année.
Rédacteur en chef de « Napoléon Ier. Revue du souvenir napoléonien » et auteur de plusieurs ouvrages sur le Premier Empire et Napoléon, David Chanteranne parvient, sans apporter d’informations foncièrement inédites, à renouveler le genre de la biographie. Ou plutôt renoue-t-il avec l’art antique du récit historique, sans rien négliger de la rigueur scientifique de la discipline aujourd’hui. L’auteur sait raconter et commence d’ailleurs cet essai à la manière des romans policiers. « France… mon fils… tête… armée. » Qu’avait bien pu vouloir dire Napoléon en expirant sur ces cinq derniers mots énigmatiques ?

Entre la biographie et l’enquête, l’auteur commence par la fin, le départ de l’île d’Aix en juillet 1815 après la défaite de Waterloo. Se rendant aux Anglais, l’empereur tombe dans le piège et n’abordera décidément jamais sur le sol britannique : ce sera l’exil sur l’île de Sainte Hélène. Ainsi, chaque chapitre raconte le récit de cette résidence surveillée, du 15 octobre 1815 à sa mort. Le livre permet de s’imprégner de l’atmosphère de ces dernières années. Petit à petit, Napoléon rassemble ses souvenirs, dicte ses mémoires, à Las Cases d’abord, puis à Marchand et Montholon. Les détails du quotidien, les mesquineries du gouverneur Hudson Lowe à son endroit, les petites joies, les passages dépressifs… Ces souvenirs rapportés en Europe ont sculpté avant sa mort, pendant la Restauration, et après, pour des décennies, la statue de l’empereur, dont la fascination façonne le XIXe siècle. En littérature, Stendhal, lui consacre une biographie ; Hugo de nombreux vers ; et l’empire sert de toile de fond à tant de romans de Balzac !

« Les douze morts de Napoléon » n’est pas uniquement le récit de la vie à Sainte Hélène. Chaque chapitre donne une occasion de rappeler les moments où il a échappé de justesse à la mort, par chance ou par habileté. Douze moments, depuis sa naissance jusque sur le champ de bataille où il prend tous les risques, en se lançant dans la mêlée auprès de ses soldats. Il fallait bien ce mélange de charisme et de camaraderie pour être suivi et adoré par ses troupes ! La reprise de Toulon, en décembre 1793, qui lui ouvre la voie du pouvoir, lui laisse aussi plusieurs cicatrices. Il y a aussi la visite mythifiée du lazaret à Jaffa pendant l’épidémie de peste qui décime ses soldats, la tentative d’assassinat dans la salle du conseil des Cinq-cents lors du coup d’État du 10 novembre 1799, l’attentat manqué, le suicide raté, la balle dans le pied lors de la bataille de Ratisbonne… Autant d’occasions qui auraient changé le destin de la France et, bien sûr, sa destinée personnelle. Mais il fallait cet exil et cette mort presque tragique, un peu sordide si ce n’est misérable, sur une île perdue sur la route des Indes, loin de ses conquêtes, loin des siens, loin de la France qu’il a aimée et marquée de son passage, pour que Napoléon non seulement passe à la postérité (ce que sa trajectoire lui aurait accordé), mais laisse son empreinte au point de susciter encore aujourd’hui admiration… Ou polémique de piètre qualité.

Passant d’une époque à une autre, le récit de David Chanteranne s’appuie sur les connaissances réelles ou supposées du lecteur, créant ainsi une connivence avec lui. Loin d’être exhaustif, il sélectionne, rassemble entre eux des événements éloignés, brouillant ainsi la chronologie. Il se dégage un portrait singulier et passionnant de Napoléon. La vulgarisation historique n’a pas de prix. N’en déplaise aux contempteurs du roman national, daté et idéologique à de nombreux égards, il permet néanmoins par le plaisir qu’il apporte, de rendre accessible une histoire riche. Or, par la dimension même de ses conquêtes territoriales et l’héritage de son entreprise, l’ambition napoléonienne, si elle n’a peut-être pas été celle de toute la France, s’étend à l’Europe entière jusqu’aux confins de la Russie. Il est curieux que la France assume souvent si mal son histoire propre alors que les Anglais, qui n’ont jamais reconnu la couronne impériale de Napoléon (pourtant sacré par l’Église) n’ont en revanche aucun problème aujourd’hui avec lui, et même entretiennent son souvenir jusqu’à la « Napoléon mania ! » Et peut-être que ce sont eux, en choisissant le lieu de son exil, qui lui ont permis d’accéder à une forme d’immortalité.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Chanteranne, David, « Les douze morts de Napoléon », Passés composés, 06/01/2021, 1 vol. (251 p.-4 pl.), 21,00€

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