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Michel Canesi et Jamil Rahmani, Les femmes de nos vies, La Belle Étoile, 21 août 2024, 366p. 20,90€.

Comment mieux ébaucher l’intrigue d’un roman qu’en divulguant la vie des protagonistes qui, chacun à leur manière, en constituent la quintessence ? Ces protagonistes, ce sont trois femmes et c’est par leur vécu brièvement résumé que s’initie ce récit, à connotation dramatique et pourtant tout empreint d’amour et de compassion.
C’est le tour de force parfaitement maîtrisé de ces Femmes de nos vies, ouvrage écrit à quatre mains par Michel Canesi et Jamil Rahmani, médecins de leur état, qui s’inscrit en droite ligne de leurs précédents opus : Alger sans Mozart et Ultime preuve d’amour.
Trois femmes donc ; Elena, l’amoureuse délaissée, Suzanne, la mère de Nicolas qui vient de mourir et Malika, la mère de Mourad consumé par le chagrin depuis la disparition de son amant Nicolas.
Trois femmes qui, sorties de leurs quotidiens distincts, se retrouveront un jour dans un village du Cantal pour apprendre à se connaître et redonner force surtout à un Mourad convalescent pour le sauver de la dépression.

Le manuscrit coup de poing

Mais avant ce temps de résilience, il y a eu ce manuscrit de Nicolas découvert par hasard dans une maison de l’Aisne qui va précipiter le délabrement de Mourad : 

“J’aimerais que tu lises ces quelques pages, elles t’éclaireront et tu comprendras pourquoi je suis parti. J’ai supprimé les trois-quarts de mes écrits et n’ai gardé que ce qui pouvait t’intéresser. J’ai essayé de romancer ma courte existence, mais tout est vrai. J’espère que tu ne m’en voudras pas quand tu en sauras plus. Je t’aimerai toujours, pardonne-moi…
Nicolas.”

Un journal inachevé et remarquablement rédigé où entre les souvenirs de l’enfance, ce dernier évoque les agressions sexuelles d’un prêtre qu’il admirait, puis sa rencontre avec un ami, Ethan, qui lui transmettra le sida.
D’aveux en narrations intimistes, le roman se structure ainsi autour du thème de l’homosexualité avec tout son lot d’authenticité et de culpabilité qui s’y raccordent. Notamment en la personne de Mourad, comme l’explicitent les auteurs.

“Quand, sur le point de s’endormir, il pensait à un garçon croisé au lycée puis à la fac, il avait honte et jurait que ces pensées dévoyées seraient les dernières. Il priait Dieu de lui pardonner et substituait le visage d’une fille à celui du copain de classe ou d’amphi, imaginant une idylle avec elle, des promenades en bord de mer, là-bas du côté de Chenoua, près des berges de l’Oued El-Hachem envahies de roseaux et d’oiseaux.” 

Comme relaté dans le journal de Nicolas ou dans l’attitude de Mourad, leur approche homosexuelle était bien différente.

L’un solaire, l’autre triste et ombrageux

“Tout opposait Mourad et Nicolas. L’un à l’adolescence, avait choisi de vivre en accord avec son désir, l’autre pas. L’un était solaire, l’autre triste et ombrageux. Mourad avait laissé s’éteindre le soleil qui illuminait sa vie, c’était impardonnable.” 

Est-ce ce mal-être, la conscience d’une sexualité longtemps refoulée qui vont ébranler ce dernier au point d’attenter plusieurs fois à sa vie ? Sans aucun doute. Assuré d’avoir failli à l’amour faute d’assumer sa vraie nature, Mourad va s’enfoncer dans la mélancolie et les pensées morbides.
Un volet, bien étayé, qui à lui seul aurait pu constituer le creuset du récit. Mais bien qu’ébauchée autour d’une relation entre hommes, c’est paradoxalement le rôle des femmes qui fera le sel du roman.
Deux d’entre elles, les mères attendries, vont ainsi quitter leurs cocons pour se porter au secours du jeune homme gravement accidenté.

Un havre de réconciliation

Mais, c’est Elena, la plus jeune d’entre elles, celle qui avait connu une histoire d’amour avec Mourad, qui va prendre les devants. Davantage que l’appartement parisien empreint de trop de souvenirs, une convalescence à la campagne serait plus indiquée. En guise de paradis perdu, Mourad évoquait souvent un séjour dans le Cantal, une vieille bâtisse à cinq kilomètres d’Aurillac.
Ce sera le havre de la réconciliation. Sitôt arrivées en ce lieu pétri de souvenirs heureux, l’osmose va s’établir.
Alliées dans un combat pour le rétablissement de l’être aimé, chacune d’elles vont à leur manière, éveiller ses sens, sa mémoire, tout en l’entourant de bienveillance. Bien que différentes par leur culture et leur vécu, Malika, Suzanne et Elena redoublent de compassion tout en s’enrichissant de leur mission. Ce qui aura pour effet de faire sortir Mourad de son égoïsme nostalgique et de le ramener à la réalité.

“Il ressent soudain tout l’amour qui inonde cette pièce. Celui de sa mère, inconditionnel, celui d’Elena, la seule femme qu’il a voulu aimer, et même celui de Suzanne, fidèle à la mémoire de Nicolas à travers lui.”

Tout à la fois, ode à la solidarité comme à l’espérance, ce récit polyphonique et infiniment touchant qui finira par mettre à jour le supplément d’âme de chaque personnage, délivre un roman aussi singulier qu’attrayant.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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