De cliniques en centres hospitaliers, nombre de personnes de diverses confessions arpentent régulièrement couloirs et chambres de ces établissements pour établir des relations fraternelles avec les patients. Prêtres, pasteurs et imams pour la plupart, ou tout simplement bénévoles, qui optent pour ce type d’accompagnement sans esprit de prosélytisme, dans le respect de la volonté et des convictions du malade.
Si elle œuvre dans le même esprit d’aides aux plus démunis, l’implication des frères Cadéo au sein de l’unité de Soins Palliatifs de l’hôpital de la Seyne-sur-mer est, cependant, bien différente.
Désireux de partager la fin de vie de leurs semblables en qualité d’écrivain pour Alain, de peintre pour Michel, ces deux frères ont mieux fait que pénétrer dans l’intime de ses grands malades, ils ont fait de la Beauté leur choix de vie.
Pourquoi chacun d’eux – l’un toujours aux côtés de l’autre – s’est-il ainsi engagé dans l’altruisme d’une telle démarche ? Par discrétion autant que par pudeur, sans doute, ces admirables Samaritains ne le dévoilent pas.
Le fruit qui en résulte en revanche, est de l’ordre de l’unique, du merveilleux devrait-on dire, tant il recèle de lumière entre le crépuscule et le ciel. De sorte qu’en six années d’échanges épistolaires et de portraits ou natures mortes établies auprès des malades, ce recueil de « Lettres en vie » qui en définit les contours constitue une somme de témoignages exceptionnelle.
Inséré en fin d’ouvrage, le mot de Carl Gustav Jung pourrait à lui seul le synthétiser. « Autant que je puisse en juger, le seul but de l’existence est d’allumer une lumière dans l’obscurité de l’être », écrivait le célèbre psychiatre suisse. Et c’est bien-là toute la raison d’être de l’engagement désintéressé des frères Cadéo. S’imprégnant des maux avec des mots ou par petites touches de pinceau, « chacun d’eux écoute l’autre, de façon telle qu’ils forment une entité indissociable et révélante (sic) », écrira Frédérique, médecin, dans son avant-propos.
Car cette implication s’est avérée au fil du temps si consistante dans l’environnement de cette unité de soins palliatifs que la plupart des professionnels de santé qui y interviennent se sont mis à l’unisson.
Infirmières et psychomotriciens, psychologues et médecins, tous au gré de l’impulsion donnée à ces rencontres, ont œuvré pour que ces temps de souffrance ordinaires concourent à des moments d’existence extra-ordinaires.
De sorte, comme l’ont écrit deux praticiens en fin d’ouvrage : qu’ils leur ont suggéré de penser la rencontre autrement. « Le soin palliatif touche à l’intime en chacun de nous et par ce livre vous nous avez amenés à trouver un nouvel angle à penser, à ressentir notre travail et à assumer de ressentir… »
Un bel hommage de reconnaissance comme d’humilité qui n’a d’égal que la teneur des correspondances établies entre malades et la singulière fratrie. Singulière parce qu’il est insolite de voir deux frères s’investir si longtemps dans un tel torrent d’affectivité et témoigner concomitamment d’une empathie qui force le respect.
Il suffit de lire quelques-unes de leurs missives pour s’en pénétrer. Petite musique éveillant les corps transfigurés, douce chaleur de confidence dans le triste univers hospitalier, chacun de ces courriers, parfait mélange d’attention et de poésie, est un antidote à la mélancolie et un cri d’espérance au cœur du vivant.
Pêle-mêle, adressés à Danièle, Patrick, Josette, Rose, Joachim et bien d’autres, en voici un florilège :
Dans vos yeux bleu pervenche, j’ai vu tant de douceur… Et j’ai pensé aux grands nuages qui passent lentement sur les sillons de terre noire de vos Ardennes en hiver. L’humble vie de ceux qui, patiemment, attendent la venue du printemps.
C’est à toi que j’écris ce matin, dans ma forteresse de mots… Chacun d’eux est vivant et je te les envoie. Ils sont maladroits, il faut leur pardonner mais ils sont pleins de courage, de bonne volonté. Je leur ai demandé de t’accompagner, de te prêter main-forte et tant mieux si leur incohérent bavardage te fait rire et sourire.
Je repense à votre timide je ne suis rien. Aucun de nous ne pèse lourd et à chaque fois chacun d’entre nous est irremplaçable… Votre regard sur l’être humain, votre filet de voix comme un zéphyr sur les collines, votre écoute, votre simplicité font de ce rien un magnifique récipient capable de recevoir toute la beauté du monde.
Catherine a les grands yeux d’un Van Dongen. L’intelligence et la douceur sont les velours de l’âme. Lorsque vous nous regardez, vous nous faites du bien. Mon frère et moi avons reçu tant de choses en votre présence.
Et ces quelques précieux mots en guise d’épitaphe à Marie-Christine :
Ailleurs. Entre deux mondes. Dans cette zone aussi fragile qu’une bulle de savon. L’infini à portée de main. Le fini à portée de voix. Entre terre et ciel… Rien n’est plus beau que de partir le cœur léger, un pur matin d’avril, dans le sillage des premières hirondelles, piaillant de joie au beau milieu de la couleur pourpre des nuages…
Des paroles prégnantes, harmonieusement complétées par une fulgurance de dessins en couleurs et d’encres sur papier qui font de ces « Lettres en vie » un dense testament d’humanité et de spiritualité dont nombre d’unités de soins palliatifs devraient s’efforcer de relayer, sinon de s’inspirer pour l’agrément de leurs résidents.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Cadéo, Alain, « Lettres en vie : six années de rencontres au sein de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de La Seyne sur Mer », illustrations Michel Cadéo, Éditions La Trace, « Lettres », 15/09/2020, 1 vol. (259 p.) 22€
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