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Écrit dans une langue classique et à la syntaxe châtiée, « L’historiographe du royaume », qui figurait dans la sélection finale du dernier Goncourt, se déroule sous le règne d’Hassan II. Pour autant, il n’est ni un roman biographique sur ce dernier, ni une charge contre ses dérives autoritaires (le livre s’arrête d’ailleurs en 1972, au seuil des années de plomb, caractérisées par une répression féroce des opposants politiques). Le livre de Maël Renouard est une fiction sur le pouvoir, qui décrit avec finesse les ressorts psychologiques et affectifs sans lesquels le geste politique ne nous resterait que partiellement saisissable.

Il aura fallu à l’auteur près de vingt ans pour écrire ce roman, avec une réflexion en trois étapes. Première étape : après avoir découvert, au hasard d’une lecture sur l’histoire du Maghreb, la figure de Moulay Ismaïl qui régna sur le Maroc entre 1672 et 1727, et influencé par l’ouvrage « Les vies imaginaires » de Marcel Schwab, il décide de se lancer dans l’écriture d’une vie imaginaire de Moulay Ismaïl. Deuxième étape : inspirée par les « Vies parallèles » de Plutarque, qui mettait en écho la vie d’un illustre grec avec celle d’un illustre romain, il pense à écrire sur Moulay Ismaïl et son contemporain, Louis XIV. Dernière étape : en 2012, reprenant le manuscrit, il fait le choix de confier ce récit à un narrateur, contemporain et historiographe d’Hassan II.

Abderrahmane Eljarib est ainsi la voix qui guide le lecteur dans les méandres de l’histoire, celle du passé et celle en train de se faire. Enfant, il intègre le prestigieux Collège Royal aux côtés du futur roi. Nommé pour un temps conseiller du prince, il se retrouve un jour exilé, sans explication aucune, dans les tréfonds des provinces du sud, à Terfaya, où il passera sept ans dans une grande solitude. Et puis un jour, il est rappelé dans la capitale et nommé historiographe du royaume, chargé entre autres de déterminer si le Maroc doit ou non célébrer les 300 ans de l’arrivée au pouvoir de Moulay Ismaïl. Là encore, son revers de fortune reste sans explication aucune, donnant à voir tout l’arbitraire des décisions royales. « Je fus en grâce autant qu’en disgrâce. De l’un ou l’autre état les causes me furent souvent inconnues », écrit-il dans les premières lignes du livre, dans une sorte de résignation consciente, qui est peut-être le propre de ceux qui font la cour des rois. Cette incertitude et insécurité permanentes, ce sentiment de n’être qu’un pion entre les mains d’un souverain dont les desseins restent insaisissables et contre lequel aucun recours n’est possible, sont une des grandes thématiques du livre. Le narrateur emprunte souvent l’image de l’échiquier pour en rendre compte : « un jour la peine et le lendemain la joie, un jour la case noire et le lendemain la case blanche. »

L’autre grande thématique est une réflexion sur la fonction même d’historiographe, que l’auteur décrit avec minutie et érudition, multipliant les incursions dans l’histoire de France notamment et invitant à s’interroger sur ce que signifie écrire l’histoire des rois. Est-ce rendre compte de vérités factuelles ? Vraisemblablement pas, et le narrateur le sait bien, qui écrit : « je savais depuis longtemps qu’il n’entrait pas dans les prérogatives d’une charge d’historiographe d’être informé du présent. Les événements n’étaient pas mon affaire et si j’avais voulu m’en mêler davantage, on aurait veillé à ce qu’il n’en fut rien. Je n’apprenais une chose qu’à partir du moment où l’on pouvait en disposer à son gré, dans une narration convenable ». Une tâche difficile par nature, donc, et rendue encore plus compliquée pour le narrateur qui doit décider de l’opportunité d’organiser les célébrations du règne de Moulay Ismaïl, qui unifia certes le royaume mais qui fut aussi un souverain sanguinaire. Le livre rapporte beaucoup d’anecdotes racontées par des Européens qui le côtoyèrent, à l’instar d’un Thomas Pellow, sujet du roi d’Angleterre fait esclave à Meknès, puis nommé à un poste de commandement dans l’armée après avoir gagné l’estime de Moulay Ismaïl, ou d’un Pidou de St-Olon qui le rencontra à Meknès en 1693. La mission confiée au narrateur, qui s’installe à Meknès et s’entoure de livres pour trancher, est l’occasion de découvrir ce règne de Moulay Ismaïl, avec des digressions instructives sur son contemporain, le roi Louis XIV.

Il y a bien d’autres choses à souligner dans ce roman, que ce soit des moments forts comme l’attentat de Skhirat contre Hassan II auquel la fiction donne une nouvelle dimension, ou l’histoire d’amour mystérieuse entre le narrateur et une jeune fille rencontrée à Meknès. Mais ce que l’on retient, c’est surtout cet état, parfaitement restitué par l’auteur, d’oscillation permanente entre prestige et précarité auquel sont condamnés les conseillers des princes, ainsi que cette description fouillée, autant psychologique qu’historique, du métier d’historiographe, à la fois acteur et observateur condamné à la partialité. Servi par une belle écriture, un roman à découvrir, pour ceux et celles qui aiment flâner dans l’histoire et dans les arcanes du pouvoir.

Hanane HARRATH
contact@marenostrum.pm

Renouard, Maël, « L’historiographe du royaume », Grasset, 02/09/2020, 1 vol. (329 p.), 22,00€.

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