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« L’homme qui peignait les âmes », paru en juin 2021, prend place dans la remarquable série d’œuvres romanesques de Metin Arditi, écrivain suisse francophone, d’origine turc séfarade. Cet ingénieur en génie atomique, ancien enseignant à l’École Polytechnique de Lausanne, est aussi un humaniste et un mécène généreux.
Il s’est vivement impliqué au travers de diverses fondations visant au rapprochement des enfants de Palestine et d’Israël par la musique. Écrivain prolifique et talentueux, il a aussi tenu une chronique hebdomadaire au journal « La Croix » de 2016 à 2019.
Parmi ses romans, les plus connus « Le Turquetto » en 2011, « L’enfant qui mesurait le monde » en 2017 ont séduit leurs lecteurs ? tant par l’intrigue que par la beauté du style. Construit à partir d’une énigme historique, et avec la belle écriture fluide et lumineuse qu’on connaît à son auteur, « L’homme qui peignait les âmes » devrait connaître un très beau succès.

Non loin de Bethléem, sur les falaises ocre du désert de Judée, en Cisjordanie, se trouve un haut lieu monastique orthodoxe. C’est le monastère de Mar Saba dit aussi la « Grande Laure ». Son accès, de nos jours, reste toujours interdit aux femmes, mais les touristes qui ont eu le privilège d’y pénétrer, ont pu y voir une icône surprenante.
Elle interpelle le visiteur par son thème singulier : un Christ en costume de croisé, si humain qu’il semble prêt à jaillir de son cadre. Son origine a donné lieu à diverses spéculations et demeure incertaine. Metin Arditi, dans une fiction romanesque finement documentée, va émettre une hypothèse. Il en jaillit le récit d’une vie.
Celle d’un « écrivain d’icônes » exceptionnel, qui échappa aux codes que son art et son statut de moine lui imposaient. Il fit alors de sa vie entière un acte de spiritualité et de bonté, cherchant non à exprimer la divinité de Dieu, mais le meilleur de ce que peut exprimer l’homme. Cet anticonformisme allait dresser contre lui les fanatiques des trois religions révélées.
An 1079, Avner a quatorze ans. Il se rend régulièrement au monastère orthodoxe de la Sainte-Trinité livrer du poisson. Il est l’unique rejeton d’une des familles juives dont les Fatimides tolèrent encore la présence au pied des remparts de la citadelle d’Acre. Tout est pour lui, en pleine adolescence, éveil des sens. Du goût des confitures de frère Thomas à l’ombre fraîche du figuier ; du bercement des chants liturgiques qui s’échappent de l’église dont son père, pratiquant intransigeant, lui a interdit l’approche, aux ailes pailletées d’un papillon ; des senteurs que lui amène la brise, aux caresses de plus en plus audacieuses qu’il échange avec sa cousine Myriam, que ses parents ont recueillie. Sa rencontre fortuite avec le frère Anastase, iconographe du monastère, l’amène à une découverte qui va bouleverser sa vie et lui donner un sens.
« On ne peint pas une icône, on l’écrit. On n’est pas peintre mais écrivain d’icônes. L’écriture d’une icône n’est pas un travail d’artiste. C’est une représentation du divin, celle d’un croyant qui a une foi profonde et possède la connaissance des Textes » p 40.
Et cette écriture obéit aussi à des canons précis : « Les corps doivent être immobiles, les visages allongés, les regards dans l’attente. Pas dans la sollicitation. L’icône doit parler à l’âme, pas aux sens. » p 152.
Pour devenir iconographe, Avner accepte tout : apprendre le grec, étudier les Textes sacrés, assimiler les techniques de travail les plus complexes. Il se résout même à un baptême orthodoxe, adoptant le nom de son maître en forme d’hommage. Mais son esprit rationnel se rebelle à toute forme de croyance religieuse.
Il est banni par les siens, car le Deutéronome est sans appel : « Tu ne feras pas d’images taillées ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. »
Impressionné par les capacités d’Avner, son maître, l’envoie approfondir ses connaissances à Mar Saba. Il fait route avec Mansour, commerçant itinérant et musulman pieux, d’une grande ouverture d’esprit. Se noue alors avec lui un lien quasi filial qui permet à Avner de découvrir un Islam de tolérance et de partage. Dix années passées à Mar Saba ne l’éloigneront pas de ce père de circonstances.
Mais Avner va finir par s’y heurter à la jalousie de ses pairs, ainsi qu’au jugement de son premier Maître : « Tu peins des êtres humains alors que tu devrais écrire la pensée du Christ. Ce que tu fais n’est pas ce que je t’ai enseigné. Tu es dans le blasphème petit Anastase. » p 152
Car pour Avner, les canons sont l’œuvre des hommes. Lui, aspire à écrire la joie de vivre de ses semblables. Et ses visages de Marie restent le reflet de son amour pour Myriam.
Chassé de Mar Saba, où ses icônes transgressives ont fait l’objet d’un autodafé, c’est avec Mansour qu’il reprend la route à la découverte des pays du Moyen-Orient. C’est avec lui encore qu’il trouvera le courage de revenir vers les siens. Et les portraits qu’il fera de ceux qui viendront vers lui, auront le pouvoir d’apaiser les cœurs et d’adoucir les vies.
Mais 1095 ouvre, avec l’appel à la première Croisade, une époque tourmentée qui ne s’achèvera qu’avec la prise de Saint Jean d’Acre par les Mamelouks en 1291. L’œuvre et la vie d’Avner et des siens se perdront dans le déferlement des pires violences dont les hommes sont capables au nom d’un dieu que chacun revendique sien.
De courts chapitres, des moments de vie d’une très grande intensité. Un long voyage initiatique où un homme cherche la foi, ne la trouve pas, mais donne le meilleur de lui-même. Un style si réaliste qu’il nous restitue la beauté des lieux et des corps, la déchéance de la vieillesse ou l’empreinte d’un passé sur un visage…
Une histoire qui résonne en écho des déchirements et des souffrances actuelles du Moyen-Orient.
« L’homme qui peignait les âmes » témoigne de la grande spiritualité de son auteur et de l’intérêt qu’il porte à ses frères en humanité. L’œuvre et la vie de Metin Arditi portent la belle espérance des hommes de bonne volonté : que les différences deviennent richesses dans l’ouverture et la tolérance. Qu’il en soit remercié !

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Arditi, Metin, « L’homme qui peignait les âmes », Grasset, « Littérature française »,02/06/2021, 1 vol. (291 p.), 20€

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