Odile Fillion, L’invention du tango, Le Condottière, 15/05/2025, 302 pages, 22€
Attention à la confusion suscitée par l’intitulé ! Comme explicité en quatrième de couverture, L’invention du tango n’a rien d’une étude historique musicale et poétique telle que l’ont remarquablement narrée Horacio Salas, Horacio Ferrer ou encore Hector Benedetti.
La raison d’être de l’ouvrage est contenue en fait, dans son sous-titre, La mirobolante histoire de Charles Seguin qui relate l’existence d’un businessman et impresario avisé franco-argentin, ayant joué un rôle prépondérant dans l’essor du tango sur les deux rives de l’Atlantique à l’époque charnière du XIX° et XX° siècle.
En ces temps où la France servait de référence culturelle et où l’Argentine s’imprégnait des meilleurs architectes, botanistes et littéraires pour faire de sa capitale Buenos Aires une vitrine européenne de l’Amérique Latine, toute initiative européenne était la bienvenue.
Entre un gouvernement argentin inspiré du mode d’éducation et de politique à la française et les déclarations emphatiques de Clémenceau ou d’Anatole France eu égard au développement d’un eldorado regorgeant de richesses, l’heure était plus que propice.
Gestionnaire d’un casino à dix-sept ans !
C’est ce contexte dont allait tirer parti Charles Seguin, jurassien suisse d’origine, qui aussitôt installé dans le cocon bourgeois familial immigré en Argentine allait faire feu de tout bois. Formé par son père aux subtilités de la comptabilité, du commerce et de la finance, c’est dans la gestion d’un casino que le jeune Charles, dès l’âge de dix-sept ans, va faire ses premiers pas. En s’interrogeant d’abord sur l’attrait que peut constituer le music-hall de l’époque objet grandissant de toute une population, comme il le soulignait.
Qu’est ce qui définit l’identité d’un pays ? Ses musiques et ses danses, pense-t-il. Vienne a les valses, New York, le boston, la Floride, le cake walk, l’Andalousie le flamenco, Cuba la habanera, A Buenos Aires, ce sera le tango argentin ! Osé et risqué ? Simple question de marketing.
C’est peu dire que le proche avenir lui donnera raison. Fêtard et chef d’entreprise hyperactif, il conjuguera les soirées folles avec un art consommé de dénicheur de talents pour commencer à bâtir un petit empire de cabarets et de boîtes de nuit.
Ami par ailleurs des compositeurs et célèbres musiciens de tango tels qu’Angel Villoldo ou Alfredo Bevilacqua, il sera le mentor d’un dandy italien, descendant de Casanova, qui sera la coqueluche de Maxim’s et des grandes scènes de Buenos Aires.
Principal commanditaire et soutien des musiciens porteños, le sémillant entrepreneur croit dur comme fer au tango et s’efforcera de le promouvoir à Paris qui a du mal à l’accepter tant est rude la concurrence des danses en vogue.
Artisan de la "Tangomania"
Entre la valse, le cake-walk, le boléro et le one-step qui se succèdent dans le Paname de la Belle Époque, la milonga passée vite inaperçue sombre vite dans l’oubli. Ni ses musiciens pas davantage que la chorégraphie n’attirent le chaland.
Qu’à cela ne tienne, pourtant. Devenu millionnaire dans l’intervalle, Charles tout imprégné des vertus du tango va user d’arguments pour le faire éclore tel que le narre l’autrice.
Charles a le temps et les moyens pour y parvenir. Il propose un plan marketing, un budget pour monter une campagne publicitaire, payer une diva, convaincre les influenceurs et influenceuses majeurs, gérer et multiplier les publications, les événements, bref, lancer la mode du tango à Paris.
Une détermination qui finira par s’avérer payante au-delà de toute espérance.
Des thés aux dîners-tango en passant les cours de danse et le discours dithyrambique de Jean Richepin à l’Académie française, c’est une véritable “Tangomania” qui s’emparera de la capitale française.
Une notoriété adoubée par l’élite parisienne qui ne va que consolider et multiplier l’impact côté argentin. Sous la houlette de la gentry porteña, c’est une multitude de lieux chics qui des bois de Palermo jusqu’à Mar el Plata plébisciteront ce prestigieux art musical.
Ainsi d’un succès à l’autre, Charles Seguin cumulera notoriété et richesse, jusqu’à ce qu’un scandale lié à de mauvaises affaires n’interrompe une mirobolante ascension.
En une quinzaine de chapitres complétés par un glossaire et une série d’instructives lettres en annexe, c’est toute la saga d’un homme à bien des égards hors du commun, que nous invite ce passionnant ouvrage sur L’invention du tango.

Chroniqueur : Michel Bolasell
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