Adel Bakawan est un sociologue franco-iraquien, il est directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (CFRI) et membre de plusieurs sociétés savantes travaillant sur le monde arabe et les thématiques méditerranéennes. « L’Irak, un siècle de faillite de 1921 à nos jours » est son dernier ouvrage écrit en français. Il est paru à l’occasion du centenaire de la création de ce pays.
C’est en 1916 que le français François Georges-Picot et le britannique Marc Sykes se mettent d’accord sur le partage des débris de l’empire Ottoman, pour aboutir aux accords Sykes-Picot, qui – pour ce qui nous intéresse – attribuent l’Irak actuel à la Grande Bretagne. Ce nouveau pays recouvre la Mésopotamie, berceau de notre civilisation. Il comporte 3 provinces : au sud, une grande majorité de Chiites avec Bassora, province riche en pétrole. Au centre, une majorité Sunnite avec Bagdad, pauvre en pétrole. Au nord, la province Kurde avec pour capitale Mossoul, richement dotée en pétrole.
Les Britanniques, par l’intermédiaire de Percy Cox (1864-1937), alors Haut-commissaire pour l’Irak, obtiennent que ces 3 régions ne forment qu’un seul pays : l’Irak. C’est Gertrude Bell (1868-1926) qui instrumente l’installation de la dynastie Hachémite sur le trône d’Irak. Le pays devient donc « souverain sous mandat Britannique ». Le roi Fayçal 1er règne sur l’Irak du 26 août 1921 au 9 septembre 1933. Alors que les Chiites représentent 53 % de la population et les Kurdes 20 %, ils sont exclus du processus d’étatisation du pays. Seuls les Sunnites gouvernent. C’est ce qui constitue pour Adel Bakawan « le péché originel » qui a caractérisé la création de ce pays. De 1921 à 2003 les Sunnites ont systématiquement éliminé les élites Chiites et Kurdes. La domination des Sunnites durera jusqu’à la dernière guerre du Golfe de 2003. C’est ce que l’auteur appelle « le règne d’une minorité arrogante ».
Il est vrai que la création de cette nation était un défi difficilement relevable : le pays essaye de faire cohabiter des communautés ethniques et des sociétés tribales qui se sont entre-massacrées au fil des siècles. La rivalité entre Turcs Ottomans, Kurdes, Persans et Arabes sont ataviques. À cela, s’ajoute la superposition des communautés religieuses : Chiites et Sunnites. Les uns sont Persans, et les autres Arabes. Mais les Chiites Arabes ne sont pas reconnus par les Sunnites. Alors que les Kurdes Sunnites sont de langue indo-européenne et ennemis des deux autres. Bref, l’imbroglio est total, et il est bien difficile de le démêler.
Le pays devient réellement indépendant des Britanniques en 1932 juste avant que Fayçal 1er ne meure en 1933. Son fils Ghazi 1er lui succède et meurt dans un accident (?) de voiture en 1939. Son fils Fayçal II lui succède. Il est victime d’un coup d’État en 1958 et la République est proclamée dans le sang. Abd el Karim Kassem devient Premier ministre le jour même du coup d’état. Kassem est lui-même renversé en 1963 par un autre coup d’État au profit d’Abdel Salam Aref, qui est à son tour renversé en 1968 par un nouveau coup d’État fomenté par le parti Baas (Parti Socialiste de la Résurrection Arabe) qui permet au général Ahmed Hassan Al Bakr de prendre le pouvoir. En 1979 Saddam Hussein (1937-2006) écarte Al-Bakr et le garde jusqu’en 2003.
Les malheurs du peuple Irakien ne sont pas terminés puisque quatre guerres majeures se sont déroulées durant ses 34 ans de pouvoir. La révolution iranienne ayant amené au pouvoir l’ayatollah Khomeiny, Saddam Hussein a craint que sa majorité chiite longtemps réprimée ne se révolte à son tour. Soutenu et armé par les Occidentaux, Saddam Hussein bombarde l’Iran le 22 septembre 1980, la guerre durera jusqu’au 20 août 1988. Huit ans de guerre qui fera près de 500 000 morts pour rien. Les Kurdes voyant l’opportunité de se rebeller sont durement réprimés au prix de 100 000 victimes. Saddam Hussein n’hésite pas à gazer la province Kurde, et en particulier la ville de Halabja où l’on compte le 16 mars 1988 5000 morts, sans réaction de l’occident. La guerre a laissé le pays exsangue. Pensant se refaire, Saddam Hussein envahit le Koweït au motif de « forages obliques » et vol de pétrole. De plus, beaucoup d’Irakiens jugent ce pays artificiel, conséquence des accords Sykes-Picot, et faisant partie intégrante de l’Irak. En quelques heures, le 2 août 1990 le Koweït est envahi.
La réaction internationale fera plus de 100 000 morts supplémentaires et laissera l’Irak dans un état quasi apocalyptique. Mais les coalisés laissent le parti Baas et Saddam au pouvoir. Lorsque les Chiites et les Kurdes se soulevèrent, une répression terrible s’abattit sur eux. Déportations, arrestations, exécutions sommaires, tortures se succédèrent. Le dictateur tient le pays d’une main de fer. L’arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche et le 11 septembre 2001 changent la donne : l’Irak devient le premier pays de « L’axe du mal ». La guerre déclenchée par les Américains le 20 mars 2003, aboutit 3 semaines plus tard à la prise de Bagdad et à la chute de Saddam. Le pays entre en guerre civile et ne peut échapper aux conditions qui présidèrent à sa naissance.
Les Chiites sont installés au pouvoir par les Américains, les Kurdes font sécession et c’est au tour des Sunnites d’être persécutés. Les rivalités ethniques, tribales et confessionnelles, l’émergence de l’État Islamique (Daech), la corruption généralisée, empêchent toujours l’émergence d’une force nationale.
Ce livre percutant et parfaitement documenté aboutit à un résultat incontestable : L’Irak fabriqué de toutes pièces par la diplomatie britannique est dans l’impossibilité de se trouver une identité partagée, un sentiment qui permettrait aux Irakiens de vivre ensemble et de construire une nation. Comme l’indique l’historien Jean Lopez : « La descente aux enfers continue ».
Dominique VERRON
articles@marenostrum.pm
Bakawan, Adel, « L’Irak, un siècle de faillite : de 1921 à nos jours », Tallandier, 26/08/2021, 1 vol. (280 p.),19,90€
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