Loïc Robinot, Bleus et Blues : une vie en chansons, Balzac éditions, 180 pages, 25€
Pour qui a la chance de connaître Loïc Robinot, il sait combien la douceur et une gentillesse émanent de sa présence, révélant une personnalité qui allie discrétion et disponibilité constante. Cet artiste aux multiples talents, à la fois photographe sensible et poète inspiré, sait capturer l’essence des instants et des émotions. Son nouvel ouvrage, riche d’authenticité, témoigne de son amour pour la beauté sous toutes ses formes. Une œuvre où se croisent les « bleus » de l’âme et le « blues » qui les apaise, reflétant pleinement l’âme d’un artiste dont l’élan créatif rappelle les grands poètes et chansonniers d’un Paris hélas disparu, capables de mêler avec grâce l’émotion et l’observation du monde.
Du carnet de route au livre-témoignage
Dans Bleus et Blues : une vie en chansons, Loïc Robinot propose un voyage introspectif et artistique qui mêle souvenirs personnels, photographies, et chansons. C’est une œuvre qui oscille entre le carnet de route et le livre-témoignage. L’ouvrage capture un équilibre subtil entre rigueur et fantaisie, à l’image de l’auteur lui-même, agrégé d’anglais et artiste polymorphe.
L’élan créatif de Loïc trouve sa source dans des expériences de vie riches et variées. De sa rencontre marquante avec Georges Brassens à Cardiff en 1970, à ses débuts dans les cabarets parisiens, l’auteur s’ancre dans une tradition où la chanson française révèle autant qu’elle raconte. L’ouvrage est ponctué de textes inédits, écrits entre 2011 et aujourd’hui, ainsi que de morceaux plus anciens, offrant une perspective à la fois rétrospective et contemporaine sur son parcours.
Au-delà d’une simple compilation d’écrits, un univers se déploie où les souvenirs musicaux entrent en résonance avec les transformations des époques qu’ils traversent. On y découvre les nuances de la vie d’un baby-boomer, entre engagement et introspection, entre passion artistique et quotidien prosaïque. Son regard à la fois tendre et critique sur les années post-1968 confère à ses textes une valeur historique et sociale incontestable. Loïc se remémore avec émotion ses débuts marqués par des années de galère. Il raconte comment, dans les cabarets parisiens ou dans les MJC des années 1970 à 1980, il jouait souvent devant des publics variés, parfois inattentifs mais toujours prompts à offrir une chaleur unique. Jouer avec sa guitare défraîchie et un courage fragile, c’était comme apprivoiser une tempête. Mais ces tempêtes forgent l’âme d’un artiste. Ces moments difficiles, bien que marqués par la précarité, furent aussi le terreau d’une inspiration qui allait nourrir son œuvre, alliant la sincérité des textes à une musique enracinée dans la réalité humaine et la détestation – que nous partageons – des « enjeux de pouvoir », de l’extrémisme, et de l’injustice sous toutes ses formes.
Les territoires de création : entre Bretagne et Angleterre
Le parcours de Loïc reflète un va-et-vient constant entre deux horizons culturels : la Bretagne et l’Angleterre. Ces territoires, bien que distincts, s’entrelacent pour forger son identité artistique. La Bretagne, terre de légendes et de traditions maritimes, nourrit ses compositions d’une énergie poétique presque mystique. On retrouve ici l’héritage des chants marins, mais aussi une volonté d’ancrer cette culture dans des sonorités plus modernes. L’Angleterre, quant à elle, représente un terrain de découverte et d’émancipation. C’est là que Loïc rencontre Georges Brassens, figure tutélaire qui l’encourage à poursuivre sa voie artistique. Mais au-delà de cette rencontre fondatrice, c’est la richesse de la musique britannique — folk, rock, et jazz — qui infuse ses compositions. Loïc incarne cette synthèse singulière où la chanson française s’ouvre à des influences anglo-saxonnes, sans pour autant perdre son essence.
Ce déplacement constant entre Bretagne et Angleterre traduit aussi un tiraillement plus intime : celui d’un artiste partagé entre deux identités culturelles et linguistiques. Cette dualité enrichit son œuvre, en la rendant à la fois locale et universelle, introspective et ouverte au monde.
Quand photographie et musique dialoguent
Un des aspects les plus remarquables de Bleus et Blues est la place accordée à la photographie. Pour Loïc, cet art visuel n’est pas un simple complément, mais une extension naturelle de sa pratique musicale. Ses clichés, souvent pris sur le vif, capturent des instants d’émotion brute ou des paysages qui résonnent avec ses compositions. Il est talentueux, mais sa discrétion presque déconcertante et sa gentillesse font parfois oublier l’ampleur de son impact artistique. Son humilité fait qu’il demeure souvent dans l’ombre, alors même qu’il mériterait de briller au premier plan. Le dialogue entre sons et images souligne combien le regard façonne toute création artistique. Loïc, en tant qu’ancien professeur d’anglais, sait jouer avec les échos culturels et artistiques pour enrichir son œuvre. Ses chansons deviennent ainsi des fragments de vie mise en musique, tandis que ses photographies agissent comme des arrêts sur image, des pauses contemplatives au sein du flux musical.
Enfin, il convient de mentionner l’omniprésence des chats dans son univers. Symboles de liberté et de solitude choisie, ces félins accompagnent l’auteur dans son voyage créatif. Ils s’inscrivent dans une tradition littéraire où l’animal devient métaphore : celle de l’artiste qui, comme le chat, observe, capte, et retranscrit le monde avec indépendance et grâce. Ce motif félin rapproche Loïc des grands illustrateurs, notamment de Théophile Steinlen, dont les affiches célébrant les chats incarnent une esthétique poétique et une liberté artistique. Comme ces artistes de la Belle Époque, Loïc sait capter l’élégance fugace et l’indépendance silencieuse, faisant de ces félins un reflet de son propre univers créatif.
Une mélodie entre souvenirs et promesses
Bleus et Blues : une vie en chansons de Loïc Robinot n’est pas qu’un recueil de chansons. C’est une œuvre totale qui mêle musique, photographie, et récit autobiographique pour témoigner d’une époque hélas si lointaine, d’un parcours, et d’une passion. L’auteur nous invite à un voyage où la Bretagne et l’Angleterre se rencontrent, où la chanson française s’ouvre aux influences internationales, et où les arts dialoguent pour créer une harmonie singulière. Mais comment ne pas ressentir une pointe de mélancolie à l’idée que cet ouvrage pourrait être le dernier ? Nous espérons ardemment qu’il ne le soit pas, tant Loïc a encore à nous offrir, à nous raconter, à nous chanter. Ce livre n’est pas qu’un hommage aux passerelles entre les arts et à l’âme humaine, c’est aussi une invitation à attendre, avec impatience et gratitude, les échos d’une inspiration qui, nous l’espérons, ne s’éteindra jamais.
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