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Lolita Sene, Un été chez Jida, Cherche Midi, 11/01/2024, 1 vol. (168 p.), 18,50€

Lolita Sene, jeune auteure prometteuse, fait une entrée remarquée dans le paysage littéraire avec son premier roman, Un été chez Jida. Salué par la critique, cet ouvrage aborde avec une rare justesse les thèmes de l’héritage des harkis, des abus sexuels, et de la résilience. Lolita nous offre une œuvre poignante, qui interroge la transmission de la mémoire et la quête d’identité au sein d’une famille meurtrie. Comme le souligne la narratrice, Esther :

Je viens d'une famille d'immigrés. Je viens aussi d'une famille de nouveaux riches qui ont misé sur la pierre : immeubles, chalets dans les montagnes, maisons à belles piscines chlorées, qui payaient l'ISF en se plaignant que ça n'était pas juste, que tout ça leur appartenait alors pourquoi le donner à l'État pour financer le RMI de ceux qui ne travaillent pas.

Une plongée dans l'intimité d'une famille meurtrie

Au cœur du récit se trouve Esther, narratrice et figure de la reconstruction. À travers ses yeux, nous découvrons les blessures secrètes qui rongent sa famille, notamment lors des étés passés chez Jida, sa grand-mère algérienne. Jida, matriarche ambivalente, incarne la gardienne des traditions et des non-dits. Femme à la fois aimante et autoritaire, elle voue un amour inconditionnel à son fils Ziri, au détriment des autres membres de la famille. Leïla, la mère d’Esther, apparaît quant à elle comme une mère courage, portant le poids des traumatismes familiaux. Victime elle-même des abus de Ziri, elle incarne la résilience et la volonté de se reconstruire. Lolita Sene brosse avec finesse le portrait de ces femmes meurtries mais combatives, à l’image de cette phrase puissante :

Leïla s'est tellement fait cogner par sa famille qu'elle ne craint plus personne. Elle a fugué pour la grande ville, le rock et les foulards rouges, pour les soirées destroy et la bière pas chère, elle a fugué au plus vite pour ne pas se retrouver mariée de force et devoir préparer des cornes de gazelle toute la journée puis tout le reste de sa vie.

De l'ombre à la lumière : le combat contre l'omerta

Au fil des pages, Lolita Sene dévoile avec pudeur et justesse les abus sexuels perpétrés par Ziri sur plusieurs membres de la famille, dont Esther et sa cousine Sinem. Le silence qui entoure ces actes est lourd, étouffant, à l’image de cette phrase qui résonne comme un cri : « J’enfonce ma tête dans l’oreiller et ma confession au fond de mon ventre. » Face à ces révélations, les réactions de la famille sont contrastées, oscillant entre déni, colère et volonté de protéger Ziri. Esther, décidée à briser le cycle de la violence, entame un parcours judiciaire semé d’embûches pour faire condamner son oncle. Malgré les pressions familiales et les tentatives de manipulation, elle persévère dans sa quête de vérité et de justice. L’auteure met en lumière avec une grande lucidité les mécanismes d’emprise et de domination qui permettent à l’omerta de perdurer, comme le souligne ce passage :

Ziri se promène sans crainte, sans reproche. Plus il reste dans la famille, plus il se sent protégé. Il ment en gardant un visage calme. Il revient dans la région, plusieurs fois, plusieurs jours, et pendant plusieurs années.

Un été chez Jida est un roman nécessaire, qui aborde avec courage et poésie des sujets trop longtemps restés tabous. Lolita signe une œuvre bouleversante, qui nous invite à réfléchir sur la transmission de la mémoire, l’impact des secrets de famille et la résilience face aux traumatismes. À travers le combat d’Esther pour faire éclater la vérité, l’auteure nous offre un message d’espoir et de libération. Elle nous rappelle que briser le silence est un acte courageux et salvateur, comme en témoignent ces mots d’Esther :

Le revoir à travers cette fenêtre me fout enfin un coup de sang. De la peur que je ressens à cet instant précis, je décide de faire une arme. De cette peur, je réussis à tirer de la rage et du courage.

Sur ce chemin d’incertitudes et de souffrances, Lolita Sene nous convie à épouser le parcours d’Esther. Une traversée à la fois poignante et introspective, nous amenant à contempler les silences coupables et les abysses des liens familiaux, dans ce qu’il y a de plus abject…

Image de Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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