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Chantal Prévot, Le sexe contrôlé : être femme après la Révolution (1800-1815), Passés composés, 10/04/2024, 1 vol. (374 p.-8 pl.), 24€.

Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution est un titre qu’il convient d’emblée de préciser. La période 1800-1815 ajoutée en page 5 délimite le contexte historique : c’est la Révolution française de 1789 qui voit se succéder le Consulat et l’Empire avec les monarchies consulaire de Bonaparte et impériale de Napoléon. L’autoritarisme martial remplace le despotisme royal et si les hommes sont libérés des chaînes du régime bourbonien, les femmes, tombant de Charybde à Scylla, sont asservies au sexe fort. Le sexe contrôlé est la mutation d’une société inégalitaire tripartite et ordonnée (noblesse, clergé, tiers État) en une société bipartite et patriarcale (père/fille, mari/épouse) qui assoit économiquement, politiquement, juridiquement et mentalement, la domination de l’homme sur la femme. Cette hiérarchie duale est présente dans toutes les strates sociales et dans tous les métiers avec les femmes écrivaines, artistes, guerrières, intellectuelles. Plus que jamais, la femme doit obéir, se marier et procréer, et toute autre éventualité est prétentieuse et déplacée. Comment les femmes, infériorisées, vivent-elles ces temps nouveaux post-révolutionnaires ?

Un monde sexué partagé

Les Lumières veulent changer les rapports du sujet au roi et de l’homme à Dieu mais non ceux de la femme à l’homme car l’émancipation féminine n’est pas de mise. L’article Femmes de l’Encyclopédie a beau reconnaître qu’ »il serait difficile que l’autorité du mari vienne de la nature parce que ce principe est contraire à l’égalité naturelle des hommes », la théorie inégalitaire rejoint la réalité physique et les lois naturelles affirment le primitivisme animalier avec le mâle supérieur en force à la femelle fragile. Qu’une femme ait du succès en littérature ou en science tient à sa masculinité : ainsi pour Voltaire, Madame du Châtelet qu’il admire « est un homme qui porte des jupes« . La médecine, forte du dimorphisme sexuel, corrobore de plus l’inégalité des sexes et atteste que la fragilité corporelle des femmes, régie par les matrices maladives et affaiblissantes, va de pair avec la diminution du cerveau. Elle cautionne aussi – sauf autorisation pour les ouvrières et soldates – l’interdiction tant légale que religieuse du port de pantalon par les femmes. Ce vêtement masculin étant associé à la virilité, le travestissement des femmes (parfois disponibles fesses nues sous leurs robes) est une parodie et un danger pour l’équilibre du couple. La femme doit procréer et allaiter et n’a nul besoin d’un savoir. Pour les femmes du peuple, des villes et des champs, un peu d’écriture, de lecture et de calcul suffit. Les bourgeoises et nobles ont en sus un zeste de littérature, d’histoire et de géographie, voire un vernis de langue et une pincée de médecine. À l’école primaire, les parents privilégient les fils et les frères aux sœurs. Les femmes éduquées mais non instruites n’ont pas besoin d’instruction secondaire ou supérieure. Si le niveau scolaire des institutrices est bas, proportionnel aux rémunérations fixées au prorata d’élèves, le consulat signe le retour des religieuses enseignantes qui apprennent plus à croire à Dieu et au père (de famille) qu’à raisonner.

Le sort des femmes

La seule carrière permise au sexe faible est la vie maritale, le célibat étant une anormalité pour la femme. Le mariage est une affaire de famille – d’où l’importance de la dot compensant le sentiment amoureux et du contrat notarié actant les considérants financiers – qui conforte le rang social et le prestige de deux maisons. L’union est autorisée dès 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons mais le consentement du père est obligatoire jusqu’aux 21 ans de la fille et aux 25 ans du fils. L’idéal d’une fiancée est entre 16 et 20 ans, 25 ans au plus. La femme est sur le retour à 27 ans, flétrie à 30 ans, déchue à 40 ans, devenant la vieille Untel ou la mère Untel. En période post-révolutionnaire, les nobles désargentés « fument la terre » : ils lient la carpe noble mais sans le sou au lapin bourgeois vif et fortuné, les filles bourgeoises gagnant un titre, les fils nobles maintenant leur rang. Dans les classes aisées, l’écart d’âge, gage de stabilité d’un couple, est de 15 ans (faut-il préciser en faveur de qui ?), mais il est faible dans les milieux populaires où le mariage n’est pas pressé et où l’âge moyen des mariées est de 20-25 ans et celui des hommes de 24-30 ans. George Sand, née en 1804, s’étonne, enfant, auprès de sa grand-mère de l’écart entre son mari défunt et elle (plus de 30 ans). Féministe et de Gauche, George Sand – nom de plume masculin d’Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil – est mariée à 18 ans à un avocat de 27 ans, elle porte le pantalon dont elle lance la mode, fume et multiplie les amants. Rousseau décrit dans Julie ou la Nouvelle Héloïse (1771) le dilemme d’un triangle amoureux entre M. De Wolmar, un vieux mari noble, Julie, sa jeune épouse noble élevée dans la foi chrétienne, et Saint Preux, un jeune roturier, les jeunes tombant amoureux l’un et l’autre. Ce roman foncièrement moralisateur et exemplaire, la raison l’emportant sur la passion, enflammera les cœurs et confortera les liens sacrés et les vertus familiales du mariage.

Les facettes de la vie

Les femmes peuvent briller dans les salons, sociétés, cercles, cénacles, bureaux d’esprits. Ces réunions d’affinités collectives, loin des pesanteurs et censure de la Cour, voient deviser nobles d’épée, de robe et de finances, gens du monde, de lettres et de passage, la courtoisie et l’élégance étant la règle. La maîtresse de maison invite au moins une fois par semaine et offre boissons ou dîners, attirant d’inévitables pique-assiette tolérés pour leur originalité. Elle ne participe pas aux débats mais les encourage, tout comme ses hôtes, occasionnels ou habitués, fréquentant plusieurs salons dans la semaine. La salonnière la plus politisée et active est madame de Staël qui déplaît à Napoléon qui voit en elle une femme non soumise et non effacée. Les femmes sont admises comme écrivaines, peintres et musiciennes, tant qu’elles respectent la modestie qui sied à leur sexe et que leur renommée ne nuit pas à leur mari. Pour Rousseau, « Une femme bel esprit est le fléau de son mari ». Les femmes en guerre (combattantes, blanchisseuses et cantinières, épouses, mères, maîtresses et prostituées) sont indispensables. Si les intellectuelles défendent la patrie pour s’insérer dans le monde politique masculin, les concrètes montrent leur patriotisme en s’engageant dans l’armée. Pour éviter tout libertinage, officiers et soldats ne peuvent fréquenter que leurs épouses, les noces explosant dans les camps et casernes. Les prostituées, omniprésentes en temps de paix, soutiennent le moral des guerriers. Leur nombre n’augmente pas mais elles ne cachent plus et sont plus visibles de jour. Les occasionnelles (fileuses, tricoteuses, lingères, couturières, journalières) sont poussées par la misère (la passe est de 50 centimes alors qu’une ouvrière gagne 45 centimes par jour). Les itératives travaillent dans des maisons dirigées par des maquerelles. L’État, soucieux des maladies, établit des inspections d’officiers de santé et de policiers et instaure une taxation et des cartes sanitaires trimestrielles. Cette rigueur professionnalise le métier et enferme les filles dans les maisons closes, les rendant triplement soumises, au proxénète, au client et à la police.

Second sexe et législation

Le 21 mars 1804, le Code civil des Français (le mot Françaises est sciemment omis) – Code Napoléon en 1807, simple Code civil en 1814 – grave dans le granit la soumission de la femme à l’homme. L’empire efface les rares avancées révolutionnaires de la femme (clubs mixtes, partages égalitaires d’héritage) remise à sa place inférieure et réduite à l’esclavage paternel et marital. L’Art. 213 résume son statut d’éternelle mineure : « Le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance à son mari », placée sous tutelle maritale et privée de capacité juridique comme les enfants. L’argent, nerf du mariage, encadre la femme, de la dot, au veuvage et à l’héritage. Selon l’Art. 1540 du Code civil, « La dot est le bien que la femme apporte au mari pour supporter les charges du mariage ». Elle est sa contribution aux dépenses dans les couples aisés et la dispense de travailler. Selon l’Art. 1241, « Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, les aliéner ou les hypothéquer sans le concours de la femme ». Le contrat de mariage peut prévoir pour l’épouse une somme pour ses besoins personnels. En cas de décès du mari, souvent âgé de 15, 20 ans ou plus, la veuve est appauvrie, devant s’effacer devant les enfants ou héritiers jusqu’au 12° degré, d’où certaines dispositions financières prévues lors du contrat de mariage. Le Code civil admet quatre motifs de divorce : l’adultère (les femmes sont lourdement punies, les maris peu sanctionnés), les excès ou sévices (femme battue), la peine infamante (prison) et le consentement mutuel et persévérant (rendu difficile à obtenir par le juge). On pourrait multiplier à l’envi les exemples et les articles anti-féminins mais on résumera le visage d’une France phallocrate avec l’Art. 324 du Code pénal de 1810 qui excuse « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale ».

Des Notes finales (et non infrapaginales, on aime ou pas), une Bibliographie conséquente, un Index des noms et une Table des matières ferment le tout. Il faut préciser l’ajout central d’un feuillet cartonné de 8 pages de photos couleurs. Chantal Prévot est directrice de la Bibliothèque Martial Lapeyre de la Fondation Napoléon. Elle a été co-commissaire de l’Exposition Napoléon n’est plus (Musée de l’Armée, 2021), a co-dirigé Le mémorial de Sainte Hélène. Le manuscrit original retrouvé (Perrin, 2017) et L’Atlas de Paris au temps de Napoléon (Parigramme, 2014). On comprend donc sa passion sur les femmes sous le Consulat et l’Empire. Le présent livre, dense et instructif, s’inscrit dans la thématique des Femmes sous la Révolution, un sujet grandement défriché par des historiennes : Christine Fauré, Dominique Godineau, Christine Le Bozec, Catherine Marand-Fouquet, Éveline Morin-Rotureau, Anne Verjus, Éliane Viennot… Dévoilant la mainmise des paysannes, citadines, bourgeoises et nobles par les hommes, Le sexe contrôlé est un ouvrage sur les dessous de l’Histoire à découvrir !

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

albertmontagne@gmail.com

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