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Mansoura Ez-Eldin, Les jardins de Basra, traduit de l’arabe (Égypte) par Philippe Vigreux, Actes Sud – Sindbad, 04/01/2023, 22,80€.

Tout commence par un songe. Un rêve obsédant et poétique dans lequel des anges descendent du ciel pour cueillir les jasmins des jardins de Basra – l’actuelle Bassorah en Irak. Ce rêve accapare continuellement l’esprit d’Hishâm Khattâb qui, après des études de géologie brillantes mais n’ayant débouché sur aucune opportunité professionnelle, gagne désormais sa vie en revendant des livres anciens. Les livres “me semblaient le cimetière idéal pour enterrer mes désillusions et mon sentiment d’inutilité” dit-il. Son père, esprit fantasque, a disparu sans donner de nouvelles, quelque part en Libye. Sa mère, de son côté passe ses journées à se lamenter sur son sort. Femme peu aimante, elle n’offre à son fils que froideur et incompréhension.

Aux origines de l’islam

Hishâm, à travers les manuscrits et ouvrages rares qui passent entre ses mains, se passionne pour les débuts de l’islam et les grands savants musulmans des VIIe et VIIIsiècles, tels que Hasan Al-Basri qui par son enseignement a fait de Basra le berceau du soufisme, Ibn Sîrîn, l’initiateur de la tradition musulmane de l’interprétation des rêves ou encore Wâsil Ibn Atâ’que l’on présente souvent comme l’un des fondateurs du mu’tazilisme. Les mu’tazilites abordaient l’islam de manière rationnelle, postulant que le Coran était créé et que la raison devait primer comme source de connaissance religieuse. Adoptée en 813 par le calife abbasside al-Ma’mûn, la doctrine mu’tazilite est aujourd’hui remise en valeur par les tenants d’un “islam des Lumières”. Hishâm, poussé par sa soif de connaissance, se rapproche d’un intellectuel d’Héliopolis surnommé “l’hérétique” qu’il aide dans ses recherches et dont il devient en quelque sorte le disciple. À la même époque, il fait la connaissance de Mervat, qu’il surnomme Bella parce qu’il lui trouve une ressemblance avec l’épouse et muse de Marc Chagall, Bella Rosenfeld… Le jour de leur rencontre, dans la foule attendant le passage du convoi présidentiel, Hishâm est surtout attiré par l’ouvrage que la jeune femme tient dans les mains, Le Grand Livre de l’Interprétation des rêves attribué à l’imam Muhammad ibn Sîrin, un livre dans lequel est justement commenté le songe qui le poursuit, celui des anges descendus cueillir les jasmins de Basra…

Voyages dans le temps et la mémoire

À partir de sa rencontre avec Bella, Hishâm commence à être visité de plus en plus souvent par de nouveaux rêves : ces derniers lui dévoilent par bribes “la chronique d’une vie, disparue et enterrée sous les sables de l’oubli, celle d’un homme qui semblait être moi, appelé Yazîd ibn Abîhi”. Ce dernier, modeste vannier de Basra, est disciple d’Hasan al-Basri puis de Wâsil Ibn ‘Atâ’. Hanté lui-même par des rêves dont il demande l’interprétation à son meilleur ami Mâlik, Yazîd cache derrière le mur de sa maison, une bourse remplie d’or et de gemmes précieuses et au fond de son cœur un inavouable secret. Victime d’une trahison qui lui coûtera la vie, son destin tragique se recompose à travers les voix multiples de ceux qui l’ont côtoyé. Roman choral, Les jardins de Basra esquisse parallèlement la vie de deux hommes ayant vécu à plus de mille ans d’écart, Hishâm et Yazîd, qui finissent presque par se confondre. Alternant les points de vue, l’auteure montre ainsi la difficulté de saisir les individus dans leur complexité et leurs contradictions. Par sa langue imagée et ses réflexions mélancoliques sur le temps et la mémoire, le roman fait résonner des accents résolument proustiens.

Née en 1976, Mansoura Ez-Eldin compte parmi les voix les plus prometteuses de la littérature égyptienne contemporaine. Son roman, magistralement maîtrisé, confirme un incroyable talent de conteuse et donne envie, à partir des entrées biographiques qui suivent le récit, d’en apprendre plus sur la période souvent méconnue des débuts de l’islam.

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Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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