Maxime Reynaud, La dernière invasion : 1798, quand la France révolutionnaire débarque dans les îles Britanniques, Passés composés, 27/03/2024, 1 vol. (283 p.), 22€
Si vous demandez à un Irlandais ce que signifie pour lui et ses compatriotes l’année 1798, il vous répondra immanquablement : l’année des Français. En revanche, si vous posez la même question à un Français, vous avez toutes les chances pour que celui-ci, après avoir mimé une intense réflexion, vous livre quelques propos évasifs ; une preuve de plus de la désaffection de plus en plus prégnante de nos concitoyens pour leurs glorieux prédécesseurs.
Maxime Reynaud, diplomate averti, nous avait déjà captivé dans son précédent ouvrage où il mettait à jour une des aventures les plus délaissées de l’histoire, à savoir la participation des Japonais à la Grande Guerre, contre l’empire allemand. Dans son nouvel opus, tout aussi attirant que le premier, il exhume des tréfonds de notre passé – et des archives militaires – un épisode qui aurait mérité plus de considération tant les acteurs de ce drame s’y sont comportés avec honneur et courage.
Utopie révolutionnaire ou vision stratégique ?
Tout commence par les actions sournoises de la Perfide Albion qui décidément a une dent contre les Français et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de rejetons de la Révolution. Depuis la prise de la Bastille, elle mène intrigues et méfaits des plus fourbes afin de mettre à terre ceux qui se sont imposés face aux monarchies. Entre accueil des armées royalistes de Louis XVI et donations en espèces sonnantes et trébuchantes à nos belliqueux voisins, les Britanniques usent de tous les stratagèmes pour acculer la Révolution à la défaite.
Des esprits plus entreprenants que la plupart des conventionnels prêchent un combat en règle contre le Royaume-Uni afin de lui faire rabattre son caquet. C’est ainsi que naît l’idée d’un débarquement sur les côtes d’une Irlande martyrisée et amie millénaire des Français. Après le soulèvement de l’île, il sera prévu de pousser jusqu’aux côtes galloises et ainsi de prendre les « Redcoats » à revers. L’idée fait son chemin et plusieurs tentatives, infructueuses car mêlant impréparation et malheureux coups du destin, n’aboutissent pas. Ces expériences ont toutefois l’avantage d’entrevoir une expédition victorieuse.
Bonaparte ?
Les préparatifs vont donc bon train, attisés par des patriotes irlandais promettant monts et merveilles aux dirigeants du Directoire. Minutieusement échafaudée, l’affaire se présente sous les meilleurs auspices. Il ne manque qu’à choisir le chef. Il y en a bien un qui ferait le bonheur des optimistes. C’est le général Napoléon Bonaparte. Il est auréolé de toute la gloire de la campagne d’Italie et A la confiance des divers partis survivants de la Révolution. Son caractère très ou trop bien trempé inquiète pourtant les Directeurs. Ne serait-il pas plus sage de l’éloigner en peu ? En Egypte, par exemple ?
Mais sinon, qui mettre à la tête de l’armée d’Irlande ? Un serviteur de la Révolution, certes, mais un peu religieux quand même car les Irlandais sont farouchement croyants. Un soldat expérimenté capable de se dédoubler en administrateur et en diplomate. On en a un sous la main, c’est le général Jean Aimable Humbert.
Casse-tête religieux et politique
En cette fin du XVIIIe siècle, l’île du Trèfle et de la Lyre vit sous l’implacable férule des Britanniques. Sur ces terres battues par les tempêtes où presque rien ne pousse, les habitants et leur identité celtique sont cruellement opprimés par les vainqueurs de moult invasions. Les Irlandais sont catholiques. Cela fait partie de leurs gènes. C’est la raison principale – mais il y en a d’autres – de leur opposition passive aux sujets de sa Très Gracieuse Majesté. Les Anglais ont implanté, par la force, leur religion protestante, leurs propriétaires agricoles, leurs lois injustes et leur mainmise sur toutes les richesses de l’île.
Pourtant, la situation n’est pas aussi limpide. A la force du temps, des Irlandais protestants ont développé un sentiment irlandais et se verraient bien prendre en main les destinées d’une future république. A l’opposé, des fervents catholiques ont pris le parti des « Orangistes » par intérêt ou par lassitude. Mais le constat le plus fort est toujours celui de la masse : les gens veulent tout simplement vivre dignement. C’est fort de cette dernière observation que les héritiers de la Révolution française veulent déclencher le coup de force : aider les peuples soumis à disposer d’eux-mêmes.
De Killala à Castelbar
A la tête d’une armée composée de « moustaches » ayant combattu sur tous les fronts depuis huit ans, Humbert et ses adjoints expérimentés voguent vers l’est de l’Irlande où ils débarquent bientôt à Killala, dans le comté de Mayo. La liesse est indescriptible et les Français sont accueillis comme s’ils étaient des envoyés du Créateur. Mais à la discipline des hommes d’Humbert s’oppose l’attitude débraillée et incontrôlable des patriotes irlandais. Déjà, l’alcool aidant, les premières exactions contre les protestants et les faibles troupes au service des Britanniques gâchent le plaisir des attentistes.
Tandis qu’Humbert se dirige vers le centre, à la recherche des Anglais, les émeutes éclatent un peu partout. Les premières victimes sont les troupes de police, inexpérimentées et débonnaires. Les Français tancent les chefs Irlandais, leur demandant la plus grande retenue. Devant un mince cordon de soldats fidèles à la Couronne, les Français avancent de victoire en victoire. Oh, de bien petites victoires ! Il faut taper un grand coup dans la fourmilière. Des troupes aguerries se déplacent à la rencontre des Révolutionnaires. Le choc a lieu à Cestelbar. A l’issue d’une mêlée furieuse, les Britanniques sont sévèrement battus.
La soue du pourceau
Le vice-roi prend conscience du danger. Il bat le ban et l’arrière-ban des fidèles de Sa Majesté qui envoie des troupes. Les Français, bien que ne cédant pas à l’euphorie de la victoire, commencent à être dépassés par l’attitude des républicains irlandais dont ils venaient appuyer leur combat pour l’indépendance. Et puis, les actes répréhensibles des paysans gaéliques commencent à porter leurs mauvais fruits. Les gens fuient, demandant la protection de leurs ennemis.
La confrontation vient enfin. Une grande dépression, sorte d’entonnoir géant attire les Français dans le piège tendu par le vice-roi. On l’appelle « Ballinamouck », la soue du pourceau. Contre un ennemi plusieurs fois supérieur en nombre, Humbert et ses hommes luttent avec calme et abnégation. La lutte ne dure pas longtemps et l’armée qui devait libérer l’Irlande est prisonnière.
Vengeance
Les ordres du vice-roi sont formels : ne pas faire de mal aux Français et les considérer comme des prisonniers de Guerre. Les officiers anglais ont-ils compris l’ordre de travers ? Respectant l’ordre donné, ils débutent un des pires massacres que l’île n’ait jamais connu. Huit mille rebelles irlandais sont passés au fil de l’épée sur le champ de bataille après avoir été désarmés. Les Français contemplent horrifiés le sort cruel réservé à ceux qu’ils croyaient libérer.
Humbert et ses hommes partent vers une courte captivité tandis que dans tout le pays les « Redcoats » se déchaînent sur une population terrorisée. Meurtres de masse, exactions de toute sorte, exécutions sommaires de notables sont le lot quotidien de ceux qui pensaient voir un jour leur drapeau vert-blanc-orange flotter dans leur ciel.
Chroniqueur : Renaud Martinez
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