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La correspondance d’un auteur aussi établi que Jean d’Ormesson n’est-elle pas d’une moindre valeur en comparaison de ses écrits ? Et celle-ci ne gravite-t-elle pas uniquement autour de relations littéraires ? À ces deux questions, et non sans surprise, il faut d’emblée répondre par la négative.
Non, l’art épistolaire de l’Académicien n’a rien d’un acte littéraire au rabais. Pas davantage que les destinataires de ses missives ne se limitent aux grands romanciers et essayistes de son temps. C’est tout l’intérêt de ces “Messages portés par les nuages”.
Si l’auteur avait avoué un jour à Michel Déon ne pas aimer les lettres – pas plus en recevoir qu’en envoyer, d’ailleurs – force est de constater qu’il s’est suffisamment rompu à ce genre d’exercice. Comme en atteste les nombreux échanges de ce recueil, parmi beaucoup d’autres perdus ou égarés, car, comme le souligne Martin Veber, dans sa présentation : “Maître Jean était de ces êtres qui ne prêtaient aucun soin ni intérêt à leurs papiers”.
Présentée au lecteur dans l’ordre alphabétique, chacune de ces lettres offre un singulier attrait avec leur part d’affabilité, d’humour, de cynisme parfois, caractéristique du style de l’écrivain.
Mais pour qui aurait l’heureuse idée d’en prendre connaissance par la table des matières, l’agrément s’en trouve décuplé, toute la chronologie d’une vie étant ainsi retracée par petites touches. Telles ces premières – fougueuses – missives à Nine de Montesquiou, un amour de jeunesse à la fin années des 1940. Puis celles rédigées, la décennie suivante, près d’amis remarqués, comme Roger Caillois, Ronald Syme ou Jeanne Hersch, au “Conseil International de la philosophie.”
Avec son entrée en lice dans la vie intellectuelle, viendra l’heure des hommages aux penseurs de l’époque, Jean Guitton et Gabriel Marcel notamment, pour leur exprimer ses respectueuses admirations. Avant qu’à l’orée de sa carrière littéraire, le romancier inquiet connaisse un temps de doute que les mots de Michel Mohrt, André Maurois ou François Mauriac sauront apaiser. Ainsi parcourues, ces lettres dressent un portrait kaléidoscopique de Jean d’Ormesson évoquant les diverses étapes de son existence.
Sa stature d’auteur reconnu, un autre type de correspondance s’instaurera lors de son accession à l’Académie où ses déploiements d’habilité n’auront d’égal que ses encouragements à l’égard de Marguerite Yourcenar pour l’inciter à devenir la première femme du Quai Conti. Avec ses prises de fonctions à la tête du Figaro et sa démission mouvementée, les missives se feront plus acerbes comme en témoignent ces mots de septembre 1983 : “Hersant est un aventurier sympathique que les scrupules n’étouffent pas” ; et Aron (à qui est adressée la lettre) “un modèle d’intelligence du monde et de rigueur intellectuelle.”
Mais si ses éditos politiques expriment une fidèle affection gaulliste, l’écrivain-journaliste n’hésite pas à prendre parfois ses distances tel qu’en attestent ces libelles à Michel Debré ou à Georges Bidault sur les questions de l’engagement européen, ou de son hostilité lors des accords d’Évian.
Autant de positions tranchées qui excluent de sa part tout sectarisme comme l’authentifient ses chaleureux dialogues avec “son cher Jean Daniel” ou auprès du syndicaliste engagé qu’est Jacques Julliard. Mêlant aussi bien le compliment à la désinvolture, que l’impertinence à l’humanisme, l’ensemble de cette correspondance s’avère de la sorte un grand bonheur de lecture.
Un genre d’autoportrait intimiste et compassionnel qui atteint son point d’orgue dans une série d’échanges – la plus longue du livre – avec “l’ami merveilleux” François Nourissier dont on ne peut s’empêcher d’extraire deux citations avec délectation.
Au sujet du “Prince des berlingots” d’abord. “Le style est tellement pur, sans aune graisse, sans la moindre trace de boursouflure, qu’on le dirait travaillé sur l’os… “Et celle-ci encore bien plus fraternelle et affectueuse. Un message parmi d’autres, porté par les nuages :

Voilà longtemps que tu ne t’aimes pas. J’ai repris “Un petit bourgeois” que j’ai toujours admiré. Miss P. (nom donné par Nourissier à la maladie de Parkinson) te donne l’occasion et les motifs de te déchaîner contre toi-même. C’est à tes amis que revient toute la charge de t’aimer. Ils le font avec bonheur, tristesse et avec admiration. Je t’embrasse. Jean.”

Michel BOLASSELL
contact@marenostrum.pm

Ormesson, Jean d’, “Des messages portés par les nuages : lettres à des amis”, préface de Jean-Luc Barré, édition établie et présentée par Martin Veber, Bouquins, 1/03/2021,1 vol. (468 p.-16 pl.), 23,00€.

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