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Mathieu Belezi, Moi, le glorieux, Le Tripode, 07/03/2024, 1 vol. (328 p.), 21€

Mathieu Belezi, écrivain français d’origine algérienne, nous plonge avec Moi, le Glorieux dans les méandres de l’Algérie coloniale et post-indépendance à travers le récit d’Albert Vandel, un colon français qui se vante de sa richesse, de son pouvoir et de sa longévité exceptionnelle. Le roman, narré à la première personne du point de vue du colonisateur, est une confession sans concession qui dévoile la violence, le racisme et la décadence d’un système oppressif. À travers le récit d’Albert, l’auteur explore les thèmes du colonialisme, de la domination, de la violence et de la perte. Le roman nous confronte à la réalité brutale de la colonisation et à ses conséquences tragiques pour les colonisés et les colonisateurs.

Albert Vandel : un portrait du colonisateur

Albert Vandel, surnommé “Bobby la Baraka”, “Bobby Baroud” ou encore “Bobby Caïd”, est un personnage complexe et détestable. Arrivé pauvre en Algérie au XIXe siècle, il a bâti un empire financier et immobilier, exploitant les terres et les hommes pour s’enrichir et asseoir son pouvoir. Son récit est une longue confession où il se vante de ses exploits de “tueur de lions” et de “coupeur de têtes”, de ses conquêtes féminines et de sa richesse ostentatoire. Il ne cache pas son mépris pour les indigènes, qu’il considère comme des êtres inférieurs, et sa conviction de la supériorité de la race blanche. “On ne troue pas la peau de Bobby la baraka ! En cent ans personne n’y est arrivé, et il n’y avait aucune raison pour que dix foutus montagnards y arrivent !”, se vante-t-il.
Le personnage d’Albert incarne la figure du colonisateur, aveuglé par son orgueil et sa soif de pouvoir. Il est incapable de voir l’humanité des colonisés et de comprendre les injustices qu’il leur inflige. Son récit est un témoignage glaçant de la violence et du racisme qui ont caractérisé le système colonial.

L'Algérie française : un paradis perdu ?

Le roman déconstruit le mythe de l’Algérie française comme un paradis perdu. L’auteur met en lumière les contradictions et la violence d’un système oppressif fondé sur la domination d’une minorité sur une majorité.
L’Algérie française est présentée pour ce qu’elle était : un monde de privilèges et d’excès pour les colons, qui vivent dans l’opulence et l’insouciance, exploitant les ressources du pays et le travail des indigènes. “J’étais à l’époque le plus gros à travers leurs jardins, vêtus de tussor ou de lin, les doigts constellés de diamants qui jetaient des sorts aux jardiniers bien trop payés pour le travail qu’ils accomplissaient“, se souvient Albert.
Le récit explore les thèmes de l’identité, de la mémoire et de la perte. Les colons, convaincus de leur supériorité et de leur droit de propriété sur l’Algérie, refusent de voir la réalité de la situation et s’accrochent à un passé révolu. Leur “paradis” se transforme en enfer avec la montée des mouvements indépendantistes et la guerre d’Algérie.
Le récit est ponctué de flash-back qui retracent l’ascension d’Albert et sa domination sans partage sur l’Algérie. On le voit acquérir des terres, exploiter les ressources du pays, corrompre les fonctionnaires et les politiciens, et imposer sa loi par la violence et la terreur.

Une écriture à la fois crue et poétique

Moi, le Glorieux se distingue par son style cru et poétique, qui reflète la violence et la beauté de l’Algérie. Mathieu Belezi utilise un langage direct et sans fioritures, ponctué d’images poétiques et de références historiques et culturelles.
Le récit d’Albert Vandel est empreint de cynisme et de vulgarité car l’auteur utilise un langage cru pour décrire la violence, le racisme et les excès du personnage, ne cherchant pas à atténuer la brutalité de ses propos et de ses actes. “Nom d’une pute vierge !” est une expression récurrente qui ponctue le récit et révèle la vulgarité du personnage. Nonobstant, le langage cru contraste avec des images poétiques qui évoquent la beauté des paysages algériens et la richesse de sa culture. “Le ciel bleu et les nuages sont à moi, les oliviers, les vignes, les champs d’alfa, les barrages sont à moi“, s’exclame Albert, témoignant d’une forme d’attachement paradoxal à la terre qu’il a exploitée et dominée. Le récit est également nourri de références historiques et culturelles qui ancrent l’histoire dans la réalité de l’Algérie coloniale. L’auteur évoque les figures historiques de la conquête française, telles que Bugeaud et le duc d’Aumale, ainsi que les événements marquants de l’histoire de l’Algérie, comme la révolte de la Kabylie en 1871 et les massacres de Sétif en 1945.
Le style de Mathieu Belezi est une oscillation entre Céline et surtout Camus par sa capacité à décrire la violence et l’absurdité du monde, tout en conservant une dimension poétique et humaniste. Comme Camus, il explore les thèmes de la révolte, de la liberté et de la responsabilité individuelle face à l’oppression et à l’injustice.

Un réquisitoire implacable contre le colonialisme

Moi, le Glorieux est un roman important qui nous rappelle les horreurs du passé et nous invite à réfléchir sur les conséquences du colonialisme, tant pour les colonisés que pour les colonisateurs. Une œuvre puissante et nécessaire qui contribue à la compréhension de l’histoire de l’Algérie et de ses relations complexes avec la France. Mathieu Belezi est un écrivain génial, engagé et exigeant, maniant une langue puissante pour déconstruire l’idéologie coloniale à travers des personnages et des situations extrêmes. Son œuvre dérangeante ne laisse pas indifférent.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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