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Moïse de Casa – Driss C. Jaydane

Pour un romancier, écrire sur l’enfance – la sienne ou bien celle d’un alter ego fictionnel – est un sujet périlleux. Le risque est grand de plaquer sur l’enfant un regard déjà adulte, de juger rétrospectivement l’innocence perdue à l’aune de sa lucidité présente. Gare à la reconstruction a posteriori ou à l’idéalisation qui sonne faux.  « L’enfance n’est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d’Or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir desquelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens » écrivait en 1993 Georges Perec dans « W, ou le souvenir d’enfance ». L’auteur marocain Driss C. Jaydane semble avoir médité cette leçon. Avec son troisième roman, Moïse de Casa, il propose une incursion très réussie dans ce territoire si sensible des premières années de la vie.

Un voyage prophétique dans les rues de Casablanca

Le jeune narrateur vit avec sa mère, institutrice, et sa petite sœur Meriem. Nous sommes en 1975. À l’appel du roi Hassan II, des milliers de volontaires marocains prennent la route du Sahara, pour récupérer ce territoire alors occupé par les Espagnols. C’est la Marche Verte. Le spectacle de ces « Nouveaux Héros de la Nation partant libérer le désert » retransmis quotidiennement à la télévision, donne des idées au garçonnet qui, avec ses amis, souhaite partir lui aussi pour un grand voyage : « On devait se lancer à la recherche du plus haut des immeubles les plus blancs de Casablanca. Un immeuble construit par les Français à l’époque où ils croyaient que ce pays leur appartenait. ». Dans son esprit fantasque, cette quête prend une dimension sacrée. L’immeuble devient « Montagne de Dieu » et lui-même prophète. Nouveau Moïse menant son peuple, il ne lui reste plus qu’à trouver des compagnons de route. Son copain Simo accepte « de faire Josué, Isma de jouer Aaron et Zak, le reste des Hébreux ». Mais c’est la rencontre avec Béretto qui va donner à son projet sa véritable dimension épique. Ce nouveau venu habite avec « Les Yeux », une femme mystérieuse, un peu sorcière qui lit l’avenir dans le jaune d’œuf. Par son intermédiaire, le narrateur va plonger au cœur des quartiers populaires de sa ville, à la rencontre d’une pléiade de personnages tous plus singuliers les uns que les autres. Comme le dit Béretto, « Casablanca est une ville où il suffit de marcher un peu pour changer de monde ». En chemin, ils croiseront Guébara, admirateur du Che qui vit avec ses chiens et proclame que « Le miel c’est Dieu ! Et Dieu, c’est le miel ! », Ghanghouni, le chef des « Sans-Père » ou encore Rehma, la femme de ménage, dont le récit va ouvrir « la porte des souvenirs » dans la tête brûlante de Moïse.

Le roman explore avec beaucoup de justesse la question de l’absence du père et la façon dont l’imagination sert de dérivatif au réel. Le lecteur prend plaisir à déambuler aux côtés du garçon et de ses amis dans une Casablanca observée à travers le prisme déformant de l’enfance. Authentique roman d’apprentissage, Moïse de Casa enseigne que grandir, c’est accepter de regarder la réalité en face.

Jaydane, Driss C., Moïse de Casa, Les Avrils, 04/05/2022, 1 vol. (152 p.), 18 €

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Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

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