Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Abdelkader Djemaï, Mokhtar et le figuier, Le Pommier, 17/08/2022, 14€

Si Corneille affirme dans le Cid « qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années », on pourrait tout autant dire que pour les écrivains de talent, la force d’un roman ne se mesure pas à leur nombre de pages. Mokhtar et le figuier fait partie de ces très courts textes qu’on lit d’une traite. Dès les premiers mots, on se sent à l’aise, la simplicité de la prose nous porte agréablement, comme une voix douce et familière. Passé le seuil de l’élégante couverture, formée d’un kaléidoscope de figues mûres, on est accueilli dans la famille de Mokhtar et l’on s’y trouve immédiatement bien. On remise, le temps de la lecture, nos yeux désabusés d’adultes, pour regarder la vie à travers ceux d’un enfant ordinaire, dans l’Algérie plongée dans la guerre.

Le figuier de l’enfance

Le figuier évoqué par le titre, c’est celui qui se dresse au milieu de la courette de la maison des grands-parents de Mokhtar, une vieille bâtisse au milieu de la campagne, à une trentaine de kilomètres au sud d’Oran. C’est là que le garçon est né et a grandi, dans une atmosphère aimante, au milieu de la fumée du kanoun, le petit fourneau sur lequel Aïchouche, sa grand-mère fait brûler du benjoin et de l’encens afin d’éloigner les mauvais esprits. La journée, le grand-père Kouider travaille avec une soixantaine d’autres fellahs, à exploiter les terres d’Antoine Manhès, un colon français dont la vaste ferme s’étend plus bas dans la plaine. Mokhtar, comme les enfants de sa génération pour qui les écrans de télévision ou de téléphone ne constituaient pas encore un dérivatif facile à l’ennui, explore le monde qui l’entoure. Son imagination se laisse happer par l’observation des insectes, le vol des cigognes qui descendent vers le sud et les branches de ce figuier solitaire qui est presque un membre de la famille : « Avec sa masse vert sombre dont il découvrirait peu à peu l’odeur boisée, le figuier lui paraissait peuplé de mystères et de secrets ». C’est sous ce figuier aussi que Mokhtar connaît l’éprouvante cérémonie de la circoncision, arbre tutélaire dont les racines garderont à jamais son prépuce enterré…

La mer et la guerre

Puis un jour, Mokhtar doit quitter l’univers familier du douar. Son père, comme d’autres hommes avant lui, décide de partir pour la ville d’Oran afin d’y trouver du travail. La famille s’installe dans un haouch, une grande bâtisse organisée autour d’une cour centrale où, avec le voisinage, de nouvelles sociabilités vont rapidement se nouer. Le garçonnet va à l’école, fréquente le cinéma et découvre la mer pour la première fois : « Sur l’avenue plantée de palmiers sauvages, au-dessus du port, elle apparut à Mokhtar, appuyé contre la rambarde en fer forgé, vivante, énorme, infinie et ne ressemblant en rien à l’eau douce enfermée dans le puits étroit de Kouider ». De temps à autre, des échos de la guerre lui parviennent. L’enfant ne comprend pas tout ce qui se passe mais éprouve une crainte diffuse : « Mokhtar avait vécu cette guerre par bribes, par morceaux, par lambeaux, avec toujours cette peur profonde et silencieuse de perdre tout à coup l’un des siens ».

Le beau roman d’Abdelkader Djemaï porte un regard tendre et nostalgique sur l’enfance et une Algérie disparue. En suivant les traces de Mokhtar on ne peut s’empêcher de songer à un autre gamin d’Oran, le petit Jacques, alter ego d’Albert Camus dans l’autobiographie inachevée Le Premier homme. Colon ou colonisé, Jacques ou Mokhtar, qu’importe. Les deux livres entrent en résonance pour montrer que l’enfance est l’âge trop fugace où tous les rêves sont encore possibles.

Image de Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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