François-Xavier Demoures, Montée de l’extrême droite : une prophétie autoréalisatrice, Éditions de l’Aube, 21/02/2025, 72 pages, 14€.
![](https://marenostrum.pm/wp-content/uploads/2025/02/niOCTJwMKu58rg6LmCVcDfs1BbopFx9FigwFgYeoXGQU0B4fXpyedA-cover-full.webp)
L’ouvrage de François-Xavier Demoures n’est pas une énième déploration de la progression de l’extrême droite en France. C’est une dissection méthodique d’un processus pervers, celui d’une contamination idéologique où le discours politique, amplifié par une caisse de résonance médiatique complaisante, déforme la réalité sociale, imposant une vision xénophobe et régressive de la France. Ce livre est plus qu’un scalpel : c’est une arme.
L'arsenal du discours : quand l'extrême droite écrit son propre scénario
François-Xavier Demoures entreprend une déconstruction chirurgicale des mécanismes par lesquels l’extrême droite fabrique son récit de conquête. Il ne s’agit plus ici de se résoudre à la présence de cette idéologie nauséabonde dans l’espace public. L’imposture intellectuelle de ses promoteurs est consommée. Cette soupe infâme doit être renvoyée sans ménagement à son cloaque. Cet ouvrage nous permet de comprendre comment un discours, que l’on espérait à jamais cantonné aux marges de la République, parvient à contaminer le débat public jusqu’à en dicter les termes.
L’auteur met à nu les stratégies rhétoriques, ces manipulations du langage qui transforment des concepts délétères en débats légitimes. Le « grand remplacement », fantasme complotiste d’une substitution ethnique, devient ainsi une « préoccupation » nationale, matraquée sur les plateaux de télévision. L’oxymore empoisonné de la « préférence nationale » acquiert, par la magie de la répétition, une respectabilité de façade.
L’ouvrage démasque l’imposture : l’extrême droite ne prétend pas répondre à une « demande » populaire. Elle la crée, la manipule, l’exacerbe. Son récit est un cocktail toxique de ressentiment, de peur, et d’un appel dévoyé à des valeurs légitimes – la sécurité, l’identité, la justice – qu’elle pervertit sans vergogne. Elle capitalise cyniquement sur un besoin, une demande qui, si elle est légitime, apporte des remèdes vénéneux à une blessure réelle.
Et ce discours, souligne François-Xavier Demoures, n’est pas que contenu. Il est aussi forme, mise en scène, théâtralisation. L’essayiste dévoile les coulisses de cette « professionnalisation » de façade : l’extrême droite apprend à dissimuler son venin, à adopter les oripeaux de la respectabilité. Le « dog whistle », ce langage codé destiné à exciter les bas instincts sans alarmer les gogos, est une arme de manipulation massive. Les figures médiatiques, liftées, rajeunies, « normalisées », ne sont que les paravents d’une idéologie inchangée, simplement repeinte aux couleurs du jour.
La chambre d'écho médiatique : amplifier, banaliser, absoudre
Le livre s’attaque ensuite à un tabou : la responsabilité des médias. Non pas en les désignant comme des « alliés objectifs » – l’accusation serait trop simple – mais en démontant la mécanique par laquelle ils contribuent, souvent inconsciemment, à valider et propager la prophétie de l’extrême droite. Car les hommes politiques, pour le dire avec justesse et précision, sont aussi responsables que les acteurs médiatiques dans cette dangereuse normalisation des idées réactionnaires.
Les médias, explique François-Xavier Demoures, ne sont pas de simples miroirs. Ils sont le courant qui grossit la rivière et modèle les rapides pour leur donner, par choix autant que par paresse ou même démission une nouvelle tonalité politique nauséabonde. En offrant une tribune à l’extrême droite, en reprenant ses obsessions, en invitant ses figures de proue – sous couvert de « pluralisme » – ils les banalisent, les rendent fréquentables, les intègrent au paysage.
L’analyse de la « mainstreamisation » est ici sans concession. François-Xavier Demoures expose la lâcheté des partis de gouvernement qui, par calcul électoraliste à courte vue, reprennent les thèmes de l’extrême droite, espérant ainsi siphonner son électorat. C’est une stratégie suicidaire, qui non seulement ne fonctionne pas, mais qui légitime l’inacceptable, qui valide l’intolérable. L’offre crée la demande : cette règle du libéralisme tant mis en avant se retourne ainsi contre ses plus fervents partisans.
Le rôle délétère de la télévision dans cette contamination idéologique est indéniable. Et au banc des accusés, trônent ces officines de la désinformation continue, ces prétendues « chaînes d’info » qui, sous couvert de pluralisme, ne sont plus que des caisses de résonance de la xénophobie. CNews, en particulier, s’est muée en égout à ciel ouvert, déversant à longueur de journée un torrent de boue nauséabonde, un flot ininterrompu de débats factices, de polémiques préfabriquées, de bandeaux anxiogènes, qui ne servent qu’à une chose : instiller la peur, la haine, le repli sur soi. Ces officines de la panique, peuplées de commentateurs décérébrés et de pseudo-experts en indigence intellectuelle, préparent les esprits, par une angoisse savamment distillée, à des votes extrêmes, qui sont autant de gifles à la raison et à l’humanisme. La peur et le ressentiment, savamment orchestrés deviennent l’alpha et l’oméga de l’inconscient collectif.
Briser la spirale : résistance !
L’ouvrage de François-Xavier Demoures n’est pas un acte de capitulation. C’est un appel à la résistance, un manuel de combat intellectuel et politique. Il propose des pistes, non pas pour « répondre » à l’extrême droite – ce serait déjà lui accorder trop de crédit – mais pour la déconstruire, la marginaliser, la renvoyer dans les poubelles de l’histoire.
La première urgence, c’est de cesser de danser au rythme de la musique de l’extrême droite. C’est de refuser ses cadrages, ses termes, ses obsessions. François-Xavier Demoures exhorte à lire l’opinion autrement, à débusquer les manipulations, à aller chercher, derrière les sondages biaisés, la réalité d’une société française qui, malgré tout, résiste à la xénophobie, à l’autoritarisme, à la haine de l’autre.
La deuxième urgence, c’est de reprendre l’offensive narrative. L’essayiste le martèle : il ne s’agit pas d’abandonner la « bataille des idées », mais de la mener intelligemment. Pas de « contre-récit » frontal, qui ne ferait que renforcer l’adversaire. Mais une stratégie de contournement, de subversion, de réappropriation des valeurs universelles – la solidarité, la justice, l’égalité – que l’extrême droite a confisquées et défigurées.
La troisième urgence, c’est de reconstruire une présence sur le terrain, de réinvestir l’espace public, de redonner une voix à ceux qui refusent la fatalité de l’extrême droite. C’est à nouveau insister sur le fait qu’il ne peut pas exister de résistance, que ce soit sur le champ idéologique ou électoral, sans une présence organisée sur l’ensemble du territoire, sans la réappropriation d’un travail politique régulier de convictions et de mobilisations. François-Xavier Demoures souligne le rôle crucial des politiques publiques, des actions concrètes qui incarnent les valeurs, qui montrent qu’une autre voie est non seulement possible, mais désirable.
Le livre de François-Xavier Demoures est un ultime cri d’alarme. Il nous met en garde contre la facilité, contre la résignation, contre la tentation de céder aux sirènes de la haine. Il nous rappelle que la démocratie est un combat permanent, qu’elle n’est jamais acquise, qu’elle se défend pied à pied, idée par idée, récit par récit. Ce n’est pas un livre qu’on referme avec soulagement. C’est un livre qu’on brandit comme un étendard.
![](https://marenostrum.pm/wp-content/uploads/2024/06/Jean-Jacques-Bedu-v2_black_lpresident-less-res-1024x221.jpg)
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.