Anne Savelli, Musée Marilyn, Inculte-Dernière marge, 24/08/2022, 1 vol. (423 p.), 20,90€
Encore un livre sur Marilyn Monroe ! Et bien non ! Enfin un nouveau livre sur Marilyn Monroe ! Livre qui (d)étonne ! Musée Marilyn est un ouvrage singulier qui surprend et séduit par son originalité. Le musée n’est pas physique, il est imaginaire et mental, empli de liens photographiques sur Hollywood, le Temple du cinéma, avec ses déesses, ses paillettes et ses scandales. C’est une œuvre surréaliste qui invite au voyage avec l’étoile intemporelle qu’est Marilyn, la sirène Poupoupidou qui fait préférer les blondes aux brunes par sa voix envoûtante. C’est un livre sans image – le comble pour une icône – où chaque texte au langage imagé commente richement les photos prises entre 1945 et 1962 par les plus grands photographes américains : Earl Morgan, Tom Kelley Sam Shaw, Eve Arnauld, Milton H. Greene, Cecil Beaton, Richard Avedon… Ces photos absentes du livre décrivent à merveille l’envers moral et les dessous de Hollywood-Babylone et de Marilyn. L’objectif, simple et efficace, est que l’écrit pousse, par sa force descriptive et évocatrice, le lecteur à entrer toujours plus loin dans l’intimité de la star.
Marilyn au pays des merveilles photographiques
Anne Savelli a publié des livres imprimés (Fenêtres, Open space ; Cowboy Junkie, The Trinity Session ; Franck ; Décor Lafayette ; Décor Daguerre, À même la peau) et numériques (Laisse venir, Anarmarseilles) et cocréé le collectif d’auteurs L’aiR Nu (Littérature Radio Numérique). Musée Marilyn, au phrasé unique avec son petit je-ne-sais-quoi poétique, rend addictif le lecteur pris au charme des pages ouvertes, boîte à pans d’or. Les détails – qui n’en sont plus, tellement ils sont nombreux ! – toujours instructifs, nous plongent et nous immergent profondément et densément dans l’histoire des E.-U. Précision d’importance : Marilyn fait partie des obsessions visuelles et mentales d’Anne qui lui a déjà consacré Volte-Face, une exposition de photos et un livre éponyme autour de Marilyn Monroe et de la photographie. Musée Marilyn en est le nouveau prolongement pluriannuel et intellectuel, somme d’une passion pérenne qui ne cesse de hanter son esprit. Prenons quatre instantanés, parmi la soixantaine de titres proposés, pour en mesurer toute la puissance incantatrice ainsi que tout le travail d’investigation de l’auteure.
NUE, André de Dienesk,Tom Kelley, 1949
Entre 1946 et 1949, malgré quelques petits rôles au cinéma, se nourrir, payer le loyer restent aléatoires pour Marilyn, vous l’avez compris, au point qu’elle se prostitue parfois sur San Monica Boulevard, grimpe dans une voiture en échange d’un dîner (). Voici la séquence du calendrier. Mona Monroe, évident pseudonyme, est représentée sur fond rouge de face et de profil, ce qui va ravir une génération de camionneurs, bricoleurs, pompistes, avant d’exciter ceux qui collectionnent et spéculent – Chez Christie’s, l’exemplaire de calendrier se vend de nos jours plus de 13.000 dollars (…). Poser nue, quel problème, puisqu’elle est inconnue, toujours ? Nue sur le velours rouge, tantôt allongée à l’extrême, la tension de la jambe révélant en elle la danseuse, tantôt centrée sur une ligne qui met en avant la bouche, l’aisselle, la joue, les seins, la hanche, la cuisse, le sexe caché, Mona M frissonne, elle attend, se reprend, maîtrise son anxiété et sa chair de poule, elle écoute, se relâche, se retient, maintient chaque point de son corps en équilibre, invente un idéal, une face, un profil qui semblent être là sans y être (…). De la séance, on ne connaît que six clichés sur les vingt-quatre pris, et encore, seuls deux sont devenus célèbres. Le reste a disparu. Volé ? Perdu ?
A l’ombre, Edward Clark, 1951
Renvoie au parc Griffith de L.A. avec « les lettres HOLLYWOOD sur le versant sud du mont Lee que tout le monde connaît, son H en particulier, d’où sauta l’actrice Peg Entwistle en 1932, lettres qui, étaient jusqu’en 1949 suivies d’un LAND finalement démantelé, corps démembré de Peg en bas dans les broussailles ». On y voit « une seconde attraction (…) Le banc de pique-nique n° 29 (…). Sur ce banc, donc, un jeune couple fait l’amour la nuit du 31 octobre 1976 – mon dieu, c’était donc Halloween – quand il est écrasé par un arbre dont la chute est brutale et reste inexpliquée ».
Sur la grille. New-York, Lexington Avenue 15 septembre 1954, une heure du matin
Dans sa robe au plissé soleil, une blonde de comédie laisse une soufflerie travailler à sa gloire, accroître son pouvoir sur le dispositif dans lequel elle est prise, dont elle cherche à se dégager tandis qu’elle déploie sa palette, rit aux éclats, plaque les mains sur ses cuisses. Circulaire, elle donne à chacun l’impression de ne s’adresser qu’à lui (…). La robe dont tous les hommes diront qu’elle ressemble à une fleur, pétales volatils qui invitent à la danse, à un effeuillage plein vent (…). Il fait chaud, il fait froid, on se sait plus. La foule poisse, la culotte apparaît, Marilyn se retourne (). Déclic, la robe moule une cuisse.
Au lit, Douglas Kirkland, 1961
Nous voici donc dans une chambre, allongés sur un lit surmonté d’un balcon. Comme d’habitude tournent en boucle Sinatra et dom pérignon. Kirkland croit être le premier quand il est en fait le millième à photographier Marilyn nue sous les draps : André de Dienes, ses œufs, son verre de lait et sa carotte, pour petit-déjeuner suggestif ; Bob Beerman et le flacon de N° 5 ; Milton Greene ; Eve Arnold (…). Voyez ce portrait, le visage qui émerge des draps, se tend vers l’homme qui regarde et à qui il s’adresse, homme qui place son désir ailleurs, dans l’acte de photographier.
Pour conclure, cet opus érudit et prenant, qui ravira tant les cinéphiles que les néophytes, est une perpétuelle invitation à rêver sur Marilyn en nous faisant découvrir (au sens propre et figuré) Norma Jeane, la jeune femme fragile, et Marilyn Monroe, la star séductrice. Les mots magiques déroulés avec art et finesse par l’auteure donnent vie et volume à l’instant figé et invitent à tourner sans fin ni soif les pages de sa vie en imaginant le moment immortalisé. L’attraction de la photo, magnifiant son corps et son esprit, est telle qu’elle donne l’envie irrépressible de rechercher le cliché décrit et d’acheter un livret photographique pour parachever sa vision. Celui-ci sera le bienvenu pour parfaire une prochaine réédition idéalisée.
Chroniqueur : Albert Montagne
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