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Tavares, Gonçalo M., Mythologies, Viviane Hamy, 14/09/2022, 1 vol. (362 p.), 22,90€.

Gonçalo M. Tavares compte parmi les grandes voix de la littérature portugaise. Né en 1970, et professeur d’épistémologie à Lisbonne, ce prolifique écrivain s’est essayé à tous les genres, du roman au conte, en passant par la poésie et le théâtre. Depuis une quinzaine d’années, les éditions Viviane Hamy s’attellent à diffuser en France son œuvre aussi fascinante qu’inclassable, avec la complicité de l’excellent traducteur Dominique Nédellec. Sous le titre de Mythologies, sont ici regroupés deux ouvrages parus en 2017 et 2018, La Femme-Sans-Tête et l’Homme-au-Mauvais-Œil et Cinq enfants, cinq souris.

Un univers singulier

Le premier chapitre donne le ton. Une mère, dont la tête à été tranchée à la hache, court à travers un labyrinthe peuplé d’animaux. Comme un fil d’Ariane, le sang qui s’écoule de sa plaie doit permettre à ses trois fils de retrouver sa trace. À l’instar des anciens mythes grecs dont la symbolique se devine en filigrane, les récits de Gonçalo M. Tavares offrent une esthétique cruelle. Le sang y coule en abondance, la violence est à chaque carrefour. La plupart du temps, les personnages, ne sont pas désignés par des noms propres mais par une caractéristique physique ou un lien de parenté qui les singularise : La Femme-Rousse, l’Homme-au-Mauvais-Œil, le Fils-Ainé-de-la-Femme-Sans-Tête… On ignore dans quel espace et à quelle époque l’action se déroule. Ce que l’auteur cherche ici à montrer, c’est que l’être humain reste identique dans ses comportements, indépendamment des coordonnées spatio-temporelles. Tout ce que l’on sait, c’est qu’une Révolution est en marche, conduite par « l’Homme-le-Plus-Grand ». Les groupes armés qui pénètrent dans les villes ont un seul mot d’ordre « Celui qui tremble est coupable ! ». Pas de pitié pour ceux qui laisseraient échapper le moindre tressaillement : la punition est la mort.

Une esthétique de l’étrangeté

Les récits n’ont rien de didactique. Dans une langue sobre et concise, ils exposent des scènes, des actes, des paroles sans en livrer systématiquement les causes ou les ressorts. Le monde créé par Tavares échappe à l’analyse et au côté aplanissant de la critique. Ce n’est pas un univers à décoder où, une fois la bonne clé trouvée, le mystère s’évanouirait. Comme dans les peintures surréalistes, l’étrangeté demeure et le plaisir de la lecture est en partie lié à ce sentiment que quelque chose résiste et résistera toujours à l’intellectualisation. La citation de Walter Benjamin, qui clôt le premier des deux volumes, semble illustrer cette volonté de bouleverser notre rapport aux histoires à l’information :

Tous les matins, nous sommes informés des nouvelles du globe. Et pourtant, nous sommes pauvres en histoires curieuses. La raison en est que nul événement ne nous atteint que tout imprégné déjà d’explications.

Pour Tavares, l’essence même de la littérature découle de l’inquiétude liée à l’absence d’explications définitives. Le désenchantement de nos sociétés contemporaines n’est-il pas lié à cette incapacité à accepter que des événements puissent survenir malgré nous ? C’est l’origine même des innombrables théories du complot qui cherchent à trouver des coupables au moindre fait qui nous échappe.

Syncrétisme de mythologies

L’auteur emprunte nous l’avons dit, à la tradition gréco-latine mais n’hésite pas à aller piocher ailleurs, dans d’autres légendes et épisodes historiques. Il convoque ainsi de façon audacieuse certains personnages réels comme le Dr Charcot inventeur de la lobotomobile, une machine itinérante qui permet au psychiatre de pratiquer des lobotomies sur les places des villes. Tenter de résumer un tel ouvrage relèverait de la gageure. Il faut se laisser happer et accepter de rêver les yeux ouverts.

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