Isabelle Siac, En finir avec l’hystérie (prétendument) féminine, Plon, 12/10/2023, 304 p, 22,90 €.
L’hystérie est une névrose aux manifestations émotives spectaculaires sous forme de symptômes organiques et de manifestations psychiques pathologiques (délire, angoisse, mythomanie). Mais qui dit hystérique, dit femme furieuse est le préjugé masculin enfanté par les philosophes grecs antiques attribuant à l’utérus, la matrice – hustera / hysteria en grec ou uterum / hystera en latin – des troubles psychiatriques et physiques répétés et inexpliqués. Si étymologiquement l’hysterica est une femme malade de l’uterus, l’hystérique, la femme tracassée par son sexe et, par voie de conséquence, ses nerfs et cerveau, est une « emmerdeuse surexcitée et/ou une geignarde éventuellement mytho ou/et nympho, ado allumeuse, épouse mal baisée ou ménopausée grincheuse ou simplement dingue ». Suivant cette idée, les sociétés patriarcales font de l’hystérie une caractéristique féminine. Freud, le père de la psychanalyse, l’attribue aux fantasmes sexuels non assouvis d’esprits imaginatifs (à sa décharge, il avoue ignorer le « continent noir » de la sexualité féminine). Mais l’hystérie ne concerne pas que les femmes, elle peut être aussi masculine. Qu’en est-il plus précisément de cette maladie imaginaire ou (mé)dite féminine qui corrobore l’inégalité des sexes ?
L’hystérie, une longue histoire incriminant la femme
Pour Hippocrate, le pionnier de la médecine, la femme réside dans l’utérus et se résume à ses corps et ventre. Seule la sexualité peut calmer et guérir son hystérie. Platon réduit aussi la femme à son utérus et à son désir de reproduction : l’utérus est un animal – la petite bête noire – qui, impatient d’être enfanté, génère symptômes et maladies. Chez les Romains, le petit animal a des symptômes impressionnants : suffocations et spasmes ou léthargies et paralysies. Pour Galien, les ovaires (le pendant des testicules) doivent être désengorgés des substances produites, comme la verge doit l’être du sperme, pour éviter la dépression hypocondriaque. Il faut une sexualité active. Ambroise Paré reprend la thèse de l’animal : « La matrice a des sentiments propres, hors de la volonté de la femme : de manière qu’on la dit être un animal (…). Quand elle désire, elle frétille et se meut, faisant perdre patience et leur raison à la pauvre femmelette ». Au Moyen-Âge, la sorcière est le bouc émissaire de l’Inquisition qui traque l’hystérie via la sexualité folle des femmes non cadrées par le mariage (célibataires), le travail (professions indépendantes), l’âge (ménopausées sans risque de grossesse honteuse). Le cas de Michée Chauderon, veuve à 44 ans, lavandière et guérisseuse, accusée de sorcellerie, est exemplaire. Les médecins l’examinant hésitent entre épilepsie et mélancolie (hystérie) mais condamnent son charlatanisme qui discrédite – et concurrence – leur métier. Elle est pendue et brûlée à Genève en 1632. Les Lumières érigent la mythologie de la femme inassouvie et inassouvissable, figée dans le désir et prise de vapeurs (langueurs, évanouissements, larmes). La vaporeuse, mal baisée chronique, est victime de sa constitution fragile (nerfs sensibles, fibres délicates), de son éducation futile, de son oisiveté permanente et de sa mauvaise hygiène de vie.
XVIIIe. Les premiers frémissements féministes
En 1789, les députés proclament les droits de l’Homme et remettent la femme à sa place, dans l’hystérie et la débauche. Femmelette est l’insulte préférée du citoyen, patriote viril et bon père de famille. La secousse collective est présentée par les gazettes de l’époque comme une hystérie, une épidémie de convulsions ou vapeurs politiques. Edmund Burke voit la France comme un corps féminin qui suffoque et se déchire. Le dépeçage du corps de la princesse de Lamballe dit la haine de la féminité et de l’aristocratie. La Terreur est la folie collective d’une hystérie irrépressible. Les clubs de femmes qui fleurissent, réclamant de porter la cocarde et des armes, sont stoppés par la République qui affirme l’inégalité naturelle des femmes les excluant du vote universel et masculin. Un féminisme inédit émerge avec Olympe de Gouge mais, pour les hommes, la chose est dite : la femme est fourbe et sa matrice ne lui donne aucun droit. Le cancer de l’utérus de Marie-Antoinette ne lui épargne pas la guillotine. En 1792, un certificat médical de vapeurs (vite supprimé) évite la prison aux aristos partis en maison de santé en prouvant qu’ils n’ont pas migré mais pris les eaux. Dans les Pyrénées-Orientales, la frontière espagnole proche qui favorise un exil rapide en explique le succès. La misogynie stigmatise la féminisation et seule une femme riche et libre peut résister. Madame de Staël s’attire l’ire de Napoléon avec ses romans lus dans toute l’Europe. Femme engagée et émancipée des Lumières, elle contraste avec la bourgeoise enfermée dans le mariage et nie l’omnipotence du paterfamilias du Code de 1804.
XIXe. L’hystérique, victime de l’hypnose et de la psychanalyse
En 1861, Jean-Marie Charcot, neurologue anatomopathologiste, récupère les épileptiques de l’hôpital de la Salpêtrière et comprend que l’hystérie touche autant les hommes et les enfants que les femmes. Ses idées sont trop novatrices et Sigmund Freud, qui l’admire : (« Jamais un être humain ne m’a autant fasciné ! », voit son maître discrédité en utilisant l’hypnose pour soigner l’hystérie. Freud donne en 1886 une conférence sur l’hystérie masculine chez l’homme mais, choisissant son camp, place l’hystérie en maladie des femmes victimes de traumatismes sexuels fantasmés. L’hystérie féminine est une psychonévrose qui tient au désir et à la sexualité (au sens large et psychique). La posologie est simple : pénis à doses régulières. Pour cela, Joseph Mortimer Granville, médecin anglais (par ailleurs, membre actif de l’Église épiscopale), plutôt que de prescrire de longs et fastidieux massages infirmiers, invente en 1883 le marteau portant son nom, le marteau de Granville, plus connu sous le nom de vibromasseur. (L’usage thérapeutique est détourné dès 1905 avec des modèles portables vendus aux particuliers).
XXe. De la névrose hystérique à l’affection neurologique
Avec la Libération sexuelle, la femme peut jouir de la vie sans entrave et réclame des droits fondamentaux (contraception, avortement) et politiques, sociaux, économiques, alignés sur ceux des hommes. La pilule, inventée en 1956 et autorisée en France en 1967, bouleverse la donne : l’utérus n’est plus réduit à faire des enfants et la femme choisit ses plaisirs (qui peuvent dévier : onanisme, libertinage, masochisme), sa contraception et sa maternité. La femme hystérique n’a plus besoin de se plaindre et l’hystérie ne vient pas du sexe. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), référence mondiale en diagnostic psychiatrique listant les troubles mentaux et leurs symptômes, suit cette évolution. L’édition de 1932, la première, est fidèle aux idées freudiennes : psychonévrose, inconscient, mécanisme de défense psychologique, symptôme qui réduit l’anxiété consciente et cache un conflit mental sous-jacent. La version 2 de 1968 ajoute la suggestion et les notions de belle indifférence et de bénéfices secondaires des symptômes (gagner la sympathie, soulager des responsabilités désagréables). La rupture a lieu avec la version 3 de 1980 qui supprime la psychonévrose et l’hystérie et introduit les troubles somatoformes avec 37 symptômes dont les convulsifs. La version 4 de 1994 expulse la névrose vers une affection neurologique. Ses symptômes sont associés à des facteurs psychologiques. La version 5 de 2013 réduit la névrose hystérique en état de mort psychiatrique. Une hystérique célèbre est Marylin Monroe. Derrière la star se cache une enfant traumatisée, fille d’une mère schizophrène et d’un père absent, violée à 11 ans par son beau-père et mariée à 16 ans pour être autonome. Marylin – accroc toute sa vie aux psys – est le paroxysme de l’hystérique qui n’a que la séduction pour exister et qui cherche dans la sexualité adulte (homme ou femme) le manque d’amour parental. Pour elle, « Le sexe ça sert à aimer. À croire qu’on l’est ! »
XXIe. Du par être au paraître
L’identité, définie par le regard de l’autre et passant par des signes extérieurs d’appartenance codifiés, s’est exacerbée et complexifiée avec le net et les réseaux sociaux. L’hystérie s’y épanouit, d’une part, car chacun(e) donne une image de soi éloignée de celle qu’il (elle) refoule, d’autre part, comme la revendication identitaire veut faire coïncider le Moi social et le Moi profond. C’est une hystérie nouvelle où la différence passe par le paraître. L’acteur (ou actrice) dépend du désir d’autrui d’être vu (en jouant) pour vivre et l’hystérie consubstantielle à son métier le rend vulnérable. Delphine Seyrig, la fée joyeuse de Peau d’Âne de Jacques Demy (1970), reprend le flambeau de la blonde belle et élégante. Mais, combattante du MLF et fondatrice en 1974 du collectif Les Muses s’amusent devenu Les Insoumuses, elle dénonce les fantasmes de Roger Vadim sur son épouse Jane Fonda dans Barbarella (1968) et son féminisme dérangeant écourte sa carrière. Il faut attendre 2017 et MeToo pour que des comédiennes dénoncent Harvey Weinstein, les misogynies ordinaires et prédations sexuelles qui font obstacle aux carrières à Hollywood. La question se pose de comment séduire sans devoir en payer un prix exorbitant. C’est toute une mascarade, la peur d’une femme d’être trop brillante ou séductrice et de subir la rétorsion masculine. Pour l’homme, vient la tyrannie de la performance, l’anorexie masculine et l’hystérie masculine, la peur d’être réduit à un rôle de soumission d’enfant, de femme ou de pédé. L’angoisse de la performance masculine met à bas le sexe et l’hystérie masculine peut être assimilée à l’homosexualité.
Isabelle Siac est psychologue clinicienne, d’où son cri de colère de femme et son combat de médecin pour mettre fin au cliché masculin qui a traversé les siècles en liant l’hystérie à la femme menée par ses pulsions sexuelles. Cet ouvrage pointu et argumenté est une histoire sociale de l’hystérie mais aussi une critique de la psychologie dominée par les hommes. Il était temps que cette discipline complexe fût enfin rectifiée sous un angle féminin et féministe.
Chroniqueur : Albert Montagne
NOS PARTENAIRES
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.