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Alexandre Jubelin, Par le fer et par le feu : combattre dans l’Atlantique : XVIe-XVIIe siècles, Passés composés | Ministère des Armées, 05/10/2022, 22€.

… et dans le même temps, l’équipage ne cessera pas de se battre dans toutes les parties du navire et avec tous les types d’armes, combattant ainsi par le fer et par le feu…

Annonçons-le en préambule : ce livre est une thèse, le fruit du travail d’Alexandre Jubelin, historien et enseignant ; et quel travail ! Loin du rendu rébarbatif de la plupart des conclusions d’un doctorat, l’auteur a su réécrire avec brio un sujet rare et particulièrement ciblé, celui des combats dans l’Atlantique aux XVI° et XVII° siècles. Pour ce faire, il a dépecé son propos en chapitres dans lesquels la technique le dispute à l’aventure, tout en respectant, pour l’intérêt et le plaisir du lecteur, une sorte de chronologie du duel marin.

Après le XV° siècle, période des grandes découvertes, il s’agit non seulement de s’approprier ces terras incognitas mais également de les maintenir à soi en vue de les exploiter avec toute l’énergie possible. En effet, à quoi bon avoir passé des semaines à naviguer dans une mauvaise caraque, au gré des éléments déchaînés, pour apercevoir des rivages florissants de denrées rares et inconnues, si ce n’est pour s’en emparer et procurer à ceux qui engagent argent et réputation, la contrepartie de leur pari risqué ? Au passage, les marins pourront se payer du risque encouru en échangeant le produit de leur aventure contre espèces sonnantes et trébuchantes, privilèges et propriétés au bon rapport.

Cette nouvelle donne oblige les nations et, à travers elles, les riches armateurs, à se doter d’une puissance navale hors pair. Ne doutons pas du caractère de l’Homme : il désire ce qu’il ne possède pas et fera bon jeu de s’approprier de tout ce que son voisin a accumulé de rentable. Il faut donc jouer sur un double tableau : se défendre contre tout malotru qui vient lorgner de trop près nos possessions et, en même temps, promouvoir une flotte de combat pour faire main basse sur ce que l’Autre détient ; en une phrase : se rendre maître de la mer.

Pour se faire, à partir du XVI° siècle, les pays bénéficiaires des découvertes vont rivaliser d’imagination pour moderniser les navires qui doivent s’aventurer de plus en plus loin dans les mers. Dans cette course à la construction navale, il faut désormais compter sur un armement de plus en plus efficace et destructeur. Finies les bombardes bancales qui mettent en péril la stabilité du bâtiment à chaque bordée de tir, place à la moderne artillerie embarquée.

Pour manœuvrer ces nouveaux monstres de l’océan Atlantique, car Alexandre Jubelin ne traite que de cette partie de la Grande Mer, il faut des hommes expérimentés, formés à faire face aux pires conditions de la guerre navale. Cette nouvelle discipline exige une connaissance parfaite de la bataille et, pour les chefs, un sens inné du commandement et de la tactique en cours d’action. Pour cela, il doit compter sur des subordonnés initiés et connaissant sur le bout des doigts leurs privilèges et leurs devoirs, ce qui n’est pas toujours – tant s’en faut – à l’ordre du jour. Enfin, pour manœuvrer ces châteaux de bois sur une surface déchaînée par les intempéries ou subissant le feu adverse à portée pratique, une multitude de petites mains, souvent rebu de la société, occupe les postes essentiels à la maniabilité et à la délivrance du feu.

À l’occasion d’une traque ou d’une rencontre inopinée, les adversaires se font face. Il est question maintenant de poster sa frégate pour qu’elle soit en mesure de tirer sur celle d’en face. Manœuvre où seule l’expérience – et parfois la chance – permet d’obtenir un frêle avantage. Tout d’abord de loin, les canons se déchaînent dans un concert d’explosions et de coques brisées, mais il faut vite déchanter car les boulets ne causent que peu de dommages. Ne reste que la solution de l’approche, tout aussi dangereuse pour l’attaquant que pour l’attaqué. Si le chef artilleur donne ses ordres au bon moment, il a une chance d’endommager son adversaire sur ses points faibles : le gouvernail ou la mature. Il prend alors l’ascendant sur le duel. À ce stade, si la lutte se prolonge, les corps mutilés par le fer jonchent déjà les ponts. C’est le moment d’en finir.

Ce que le lecteur attend, et il sera bien servi, c’est le dénouement, cher aux films de pirates, au cours duquel le fer et le feu laissent place au combat rapproché. Certes, se battre sur mer, c’est aussi repousser un intrus loin des côtes ou des itinéraires de navigation amis ; la finalité reste en outre de s’emparer de l’adversaire pour grossir sa propre flotte et surtout pour faire main basse sur son chargement. Or, dans l’Atlantique, interface entre la vieille Europe essoufflée et la riche Amérique, les bateaux regorgent de richesses et de denrées rares.

Au cours de l’abordage, lorsque l’honneur a empêché le perdant de descendre son pavillon afin de montrer qu’il se rend, c’est chacun pour soi. Alors que les abordeurs, au comble de l’exaspération grimpent sur le pont adverse, le défenseur, qui sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil, se bat avec le courage du désespoir pour infliger à son ennemi les plus lourdes pertes. Les duellistes, exacerbés par le sang et l’adrénaline, se livrent alors à un carnage épouvantable à l’issue duquel il ne reste plus beaucoup de place pour les vaincus survivants.

Après l’intervention, vient la stabilisation ; puis place à la normalisation, car il faut bien en finir. Que faire du navire confisqué, de ses marchandises et, dans le meilleur des cas des prisonniers ? Tout un processus se met alors en place pour mener à bon port le fruit de la bataille : vente, troc, échange d’otages, la liste est longue et propre à chaque duel.

C’est au cours du XVIII° siècle que la donne va peu à peu changer, avec les traversées de voyageurs et surtout avec les longs et puissants convois. La guerre navale va évoluer vers la bataille rangée au cours de laquelle des dizaines de bâtiments se feront face, chacun d’entre eux crachant le fer et le feu.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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