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Patrons français et Trump : enquête sur une étrange admiration

Denis Lafay, Patrons, la tentation Trump, Éditions de l’Aube, 22/08/2025, 208 pages, 19€

Pourquoi des patrons français applaudissent-ils l’accession de Donald Trump à la présidence américaine ? Dans une enquête enlevée et engagée, Denis Lafay explore ce que cette admiration révèle des tensions, voire des dérives, du capitalisme hexagonal. Trois grandes thématiques structurent son propos : l’anti-politique, le rejet de la régulation et la dérive vers l’extrême droite.

L’éruption d’une parole décomplexée

Deux posts LinkedIn, un dimanche matin de janvier 2025. Denis Lafay lance une pierre dans la mare tranquille du consensus entrepreneurial français, déclenchant une déflagration qui révèle les lignes de fracture d’un capitalisme hexagonal tiraillé entre ses aspirations libérales et ses tentations illibérales. Patrons, la tentation Trump surgit comme un miroir tendu à une élite économique qui découvre, peut-être pour la première fois, l’ampleur de sa propre métamorphose idéologique.

Une archéologie du présent entrepreneurial

Denis Lafay occupe une position singulière dans le paysage intellectuel français. Journaliste économique, ancien patron de presse ayant connu l’échec et la reconstruction, romancier visionnaire – son Mal anticipait avec une troublante acuité la dystopie techno-autoritaire trumpiste –, il conjugue l’expérience concrète de l’entrepreneuriat et la distance critique de l’observateur. Cette double appartenance irrigue son essai d’une légitimité que ses détracteurs, huit cents commentateurs déchaînés sur LinkedIn, tentent précisément de lui contester. L’auteur déploie ici une enquête qui transcende le classique fait divers médiatique pour explorer les soubassements psychologiques, culturels et civilisationnels d’une attraction fatale entre certains décideurs français et le modèle trumpiste.

L’orchestration d’une symphonie discordante

Denis Lafay compose son essai comme une partition musicale où s’entremêlent plusieurs voix : la sienne, introspective et parfois bouleversée – « j’ai peur » écrit-il le jour de l’investiture –, celle des huit cents commentateurs dont il restitue la violence, et celle, plus sourde mais omniprésente, d’une époque qui voit s’effondrer les digues morales du capitalisme démocratique. L’auteur tisse avec maestria les fils de l’actualité immédiate – les cent premiers jours de Trump minutieusement chroniqués – et ceux d’une réflexion plus ample sur la responsabilité entrepreneuriale. Sa prose alterne entre l’inventaire factuel, d’une rigueur presque notariale, et l’envolée lyrique qui culmine dans le post-scriptum où Hermann Hesse (quel choix judicieux !) dialogue mystérieusement avec notre présent.
L’architecture narrative progresse par cercles concentriques : du fait brut – la présence de Bernard Arnault à l’investiture – vers l’analyse des ressorts profonds qui travaillent le patronat français. L’auteur manie l’art de la citation avec une virtuosité qui transforme les invectives de ses contempteurs en révélateurs d’une mutation anthropologique.

Les résonances d’un séisme entrepreneurial

L’essai de Denis Lafay cristallise un moment de bascule où l’entreprise française découvre qu’elle peut désirer sa propre servitude. Le livre explore cette « fascinante catastrophe » – pour reprendre l’expression de Susan Sontag sur un tout autre sujet – qui voit des dirigeants éduqués, cultivés, responsables d’emplois et de destins humains, applaudir un projet politique fondé sur la brutalité, le mensonge et la destruction méthodique des équilibres démocratiques.

L’auteur identifie le ressort profond de cette séduction : le spencérisme, cette perversion du darwinisme qui légitime la domination des « forts » sur les « faibles ». Trump incarne pour ces patrons la promesse d’un capitalisme débarrassé de ses entraves éthiques, écologiques, sociales. Un capitalisme pur, violent, jubilatoire. Denis Lafay montre comment cette tentation s’articule avec la montée de l’extrême droite française, comment les médias Bolloré préparent les esprits, comment la dissolution de juin 2024 a créé les conditions psychologiques d’une abdication collective.

L’ouvrage transcende le pamphlet pour devenir une méditation sur la responsabilité. Que signifie diriger une entreprise quand les valeurs démocratiques vacillent ? Comment maintenir l’exigence éthique quand le cynisme devient vertu cardinale ? Denis Lafay convoque in fine Hermann Hesse et son Loup des steppes pour rappeler que « la lutte contre la mort est toujours magnifique, noble, merveilleuse, respectable ». Cette lutte, aujourd’hui, prend la forme d’une résistance à la déshumanisation que promet le modèle trumpiste.

L’urgence d’un réveil collectif

En signant avec Patrons, la tentation Trump Denis Lafay nous propose un livre nécessaire et dérangeant qui documente la déliquescence morale d’une partie du capitalisme français. L’ouvrage interpelle chaque acteur économique sur sa part de responsabilité dans le « règne du désordre et de la méchanceté » qu’évoquait Hermann Hesse. Sans jamais tomber dans la leçon de morale, l’auteur construit une œuvre qui conjugue la rigueur du journaliste, la vision du romancier et l’engagement du citoyen. Son livre résonne comme un avertissement : quand les élites économiques renoncent à leur responsabilité démocratique, c’est toute la société qui bascule dans l’inconnu illibéral. L’essai s’achève sur une question lancinante : est-il encore temps ? La réponse appartient à chaque lecteur, à chaque dirigeant, sommé de choisir entre la facilité du suivisme et l’exigence de la résistance éthique.

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Certains mensonges sont si brillants qu’on choisit d’y croire.

Olivier Cariguel retrace ici l’une des manipulations les plus stupéfiantes du XXᵉ siècle : la création d’un fakir imaginaire devenu vedette parisienne. Son enquête, incisive et implacable, révèle la mécanique d’une imposture montée avec une audace déconcertante. Chaque révélation expose la facilité avec laquelle une société peut être séduite, dupée et entraînée dans un récit qui dépasse la raison. Rarement la manipulation aura été décrite avec autant de précision et de force.


Une lecture qui rappelle que la vérité perd toujours contre le désir d’illusion.

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