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Jean-Yves Leloup, Philocalie des Pères du désert : initiation à la sobriété de l’âme, Albin Michel, 01/02/2023, 1 vol. (343 p.), 22,90€

La philocalie comme une initiation à la sobriété de l’âme, tel que l’indiquent le titre et le sous-titre de l’ouvrage. Mais avant de pénétrer les commentaires qu’en ont faits les Pères du désert, il est important de s’attarder, voire de découvrir, le vrai sens du terme, comme y invite Jean-Yves Leloup dans son introduction. Car la philocalie, ce concept d’existence dans la beauté et le bien, « est avant tout un art de vivre en ressuscité dans un corps qui a le pressentiment de sa gloire » souligne-t-il. Un préalable indissociable de la vie bonne la eudaimonia, telle que l’imaginaient les philosophes grecs de l’Antiquité. À savoir ce qui sauve de la vanité et du néant :

Sans cette philocalie (amour de la beauté), le monde nous apparaît objectivement gris et sans saveur. Le vin des noces est épuisé, nous ne sommes plus en genèse, mais en voie de séparation et de disparition. Or, la philocalie nous rappelle qu’une nouvelle naissance est possible, une nouvelle conscience, un nouveau regard qui permet d’affirmer, malgré tout, que tout est beau.

Pour pénétrer de la sorte au creuset d’une semblable transformation intérieure et méditative, il faut toutefois posséder un bagage de vécu autant que de connaissances. Et l’on peut dire que cet Angevin septuagénaire comble à cet égard toutes les cases. Théologien et philosophe, ce dominicain devenu plus tard prêtre orthodoxe a puisé aux sources de multiples courants qui font de lui un acteur tout-terrain de l’univers spirituel. En témoigne éloquemment l’importance de sa bibliographie dont l’éclectisme n’a d’égal que le sérieux de l’investigation. De l’Évangile de Thomas à celui de Jean en passant par l’Apocalypse ou les études des livres de Salomon et de l’Ecclésiaste, son travail d’exégète lui a fait côtoyer celui du mystique comme « L’obscur et lumineux silence » ou tout récemment, « La nuit habitée de Jean de la Croix. » Mais pour mieux comprendre le large éventail de ses pensées comme de ses écrits, sans doute faudrait-il se référer au livre qui en constitue la matrice. À savoir L’absurde et la grâce, écrit en 1991, émouvant autobiographie d’un homme passé « d’un long dérèglement de tous les sens » à une quête impérieuse de l’introspection et de la vérité. À l’égal de Claudel et autres Charles de Foucauld, ce n’est qu’à l’aune d’une radicale transformation que s’entrouvre cet approfondissement psycho-mystique tel qu’en attestent ses diverses réflexions en matière du sacré.
Convaincu des bienfaits de l’hésychasme, cette pratique spirituelle mystique enracinée dans la tradition de l’Église orthodoxe visant la paix de l’âme ou le silence en Dieu, Jean-Yves Leloup en avait décrit tous les aspects dans son traité du même nom, voilà il y a une trentaine d’années.
Sa méditation approfondie dans l’intervalle, c’est cette même flamme fondamentale des êtres éveillés qu’il développe dans le présent ouvrage, non pas de façon personnelle cette fois mais à travers ce qu’avaient pressenti et vécu les Pères du désert.
Apparus en Égypte au début du IV° siècle, ces solitaires qu’on qualifiera de Pères du désert, appelés également « théophores » et parfois « christophores » avaient choisi les lieux les plus inhospitaliers pour s’imprégner dans le plus extrême dénuement de l’écoute de la parole divine.

Vivant parfois en communauté, les cénobites, le plus souvent dans la solitude, ils enseignaient leurs disciples par divers préceptes et paroles de sagesse connus sous le nom d’apophtegmes. Le premier d’entre eux, Antoine le Grand est considéré comme le père des moines. « L’ermite au désert dispensé de trois combats, celui des yeux, celui de la langue, celui des oreilles. Il ne lui en reste qu’un seul : celui du cœur…  Plus que son austérité et les traces de ses combats, c’était l’hésychia, la paix des profondeurs qui rayonnait en lui », souligne l’auteur avant d’en dresser le portrait : 

Une grâce abondante paraissait même sur son visage. C’est à cela qu’on reconnaissait Antoine : il n’était jamais troublé parce que son âme était sereine… Il était tellement secourable à tous que beaucoup de soldats et de gens riches renonçaient aux fardeaux de cette vie pour devenir moines. En un mot, il était donné par Dieu comme médecin à toute l’Égypte !

Orants et enseignants, ces Pères sont aussi des thérapeutes, capables de mettre en exergue la pratique de l’attention permettant de demeurer en présence de la Vie. Ainsi ces précieux conseils d’Evagre le Pontique ou ceux de Jean Cassien, considéré comme le Père des moines d’Occident. Sur la prière concernant le premier nommé : « Ne te figure pas la divinité en toi lorsque tu pries, ni ne laisse ton intelligence accepter l’empreinte d’une forme quelconque. Tiens-toi en immatériel devant l’Immatériel et tu comprendras. » Et plus encore sur de l’art de la mesure en toutes choses qu’exprime le second. « L’être humain est semblable à la harpe du roi David, commente Cassien. Ses cordes n’étaient ni relâchées ni trop tendues, ainsi le son qui s’en exhalait n’était ni grinçant ni amorphe. De même notre vie doit sans cesse être à la recherche de l’équilibre, à une certaine hauteur, elle ne peut pas se passer de balancier, c’est-à-dire de discernement. » Parmi l’inventaire de toutes les philocalies, Jean-Yves Leloup a cependant dû faire un choix. S’il écarte ainsi de grands maîtres tels Jean Chrysostome, Basile le Grand ou Grégoire de Nysse, « dont l’esprit théologique prime sur l’aspect ascétique« , explique-t-il, ses commentaires sur Macaire l’Égyptien, Jean Climaque ou Maxime le confesseur comme le reste de cette anthologie relatent parfaitement la lumière d’irremplaçables enseignements qui éclairent les étincelles vacillantes de l’acquis spirituel contemporain.

Image de Chroniqueur : Michel Bolassell

Chroniqueur : Michel Bolassell

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