Roland Cayrol, Alerte mondiale : démocratie en danger !, Éditions de l’Aube, 02/09/2025, 216 pages, 18 €
Et si les électeurs d’extrême droite étaient les « immigrés de l’intérieur » ? Dans Alerte mondiale : démocratie en danger !, Roland Cayrol déploie une thèse aussi puissante que dérangeante sur les sentiments d’humiliation et de relégation qui minent les sociétés démocratiques. Le politologue articule ici un propos qui entrelace la grande fresque géopolitique et la radiographie intime des fractures sociales. Du diagnostic global au projet de civilisation, cet essai fait dialoguer le fracas du monde avec les murmures du vote protestataire, invitant à un réarmement intellectuel et politique.
Une autopsie des démocraties malades
Roland Cayrol ouvre son ouvrage sur une métaphore fondatrice : la démocratie est devenue « l’air que nous respirons », une condition si naturelle de notre existence que sa fragilité nous échappe, jusqu’à ce que les premiers signes d’asphyxie se manifestent. C’est de cette anoxie progressive que traite l’essai, tandis que sur l’échiquier mondial, les plaques tectoniques du pouvoir glissent vers des empires autoritaires, de la Russie poutinienne à la Chine de Xi Jinping, et que la démocratie américaine, observée par l’auteur, voit ses normes érodées de l’intérieur, rappelant les diagnostics implacables de Levitsky et Ziblatt. Roland Cayrol dresse la cartographie d’un monde où les populistes s’emparent du « beau mot de démocratie ! » pour mieux en saper les fondements, transformant le suffrage en plébiscite et le débat en anathème. Le constat initial est celui d’une pathologie globale, où la fièvre illibérale se propage par-delà les frontières, menaçant des corps politiques que l’on croyait immunisés.
L’électorat d’extrême droite : des "immigrés de l’intérieur"
Après avoir posé ce cadre planétaire, l’auteur déplace sa focale pour sonder les origines du mal avec une intuition quasi anthropologique. Il avance une thèse saisissante, voyant dans l’électorat des extrêmes droites des « immigrés de l’intérieur ». Cette formule choc révèle les ressorts profonds d’un vote cimenté par un triple sentiment de dépossession : économique, culturel et symbolique. L’analyse des « racines d’un sentiment d’humiliation » dépasse la simple sociologie électorale pour toucher à l’ontologie de la relégation. Pour ces citoyens, le monde se vit depuis « Bar-le-Duc ou à Hénin-Beaumont », dans une France périphérique où la promesse républicaine semble s’être évaporée. Le vote devient alors moins une adhésion qu’une narration, le cri de ceux qui, se sentant étrangers dans leur propre pays, cherchent dans le rejet de l’autre – l’élite cosmopolite ou l’immigré – un moyen de restaurer une dignité bafouée. Roland Cayrol expose brillamment comment ce stigmate de l’abandon alimente une demande de rupture, transformant le ressentiment en carburant politique.
Le contre-récit européen : un pari pour l’avenir
Face à cette vague de fond qui menace de tout emporter, Roland Cayrol désigne un acteur principal pour la résistance : l’Union européenne. À défaut de la présenter comme une construction parfaite, il la dépeint comme le dernier sanctuaire de l’État de droit à l’échelle d’un continent, un contre-modèle vivant face à la brutalité des autocrates et aux dérives de son allié américain. Les chapitres consacrés à l’Europe explorent les voies de ce sursaut nécessaire. S’appuyant sur les travaux prospectifs d’Enrico Letta et de Mario Draghi, l’auteur esquisse les contours d’une Europe-puissance, capable d’allier compétitivité économique, souveraineté stratégique et approfondissement démocratique. C’est un véritable pari pascalien sur la capacité de l’Union à se réformer pour devenir l’étendard de la démocratie libérale, un projet dont Roland Cayrol mesure les immenses obstacles internes et externes.
L’essai de Roland Cayrol se referme moins sur une conclusion que sur un appel à l’action lucide. Il nous lègue une grille de lecture pour comprendre les forces contradictoires qui animent notre époque et nous invite à penser la politique au-delà de la gestion des affaires courantes. Là où un Tocqueville observait avec une inquiétude mélancolique la lente dégradation des mœurs démocratiques, Roland Cayrol, tout en partageant la gravité du diagnostic, propose des pistes concrètes pour réarmer l’esprit et la volonté. Une lecture indispensable pour quiconque refuse de se résigner au crépuscule des démocraties.

Chroniqueur : Maxime Chevalier
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