Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Ariane Jousse, Terreur, Éditions de l’Ogre, 10/01/2025, 258 pages, 21€

Roman de cinéphile ? Désir de prendre au mot les apparences ou d’en jouer pour inventer ses propres histoires ? Terreur est un peu des deux à la fois, tout au long d’un récit dans lequel s’interpénètrent les trajectoires d’une actrice et de son personnage.
On suit d’une part l’histoire du personnage principal, une femme qui se prend d’obsession pour la disparition soudaine de M.V., une actrice au sommet de sa carrière.
En parallèle, il y a l’histoire du dernier film de M.V., que la narratrice regarde frénétiquement sur son ordinateur. Cet entrelacement éclaire son évolution intérieure et les différents affects qui la traversent au gré du visionnage du film. La construction du texte élaboré comme un scénario dès les premières lignes du livre est à cet égard on ne peut mieux explicite.

Minute 11, 38 seconde. Elle se tient dans l'embrasure d'une porte, enveloppée d'un large peignoir. On distingue dans son dos le lavabo d'une salle de bain élégante mais impersonnelle, sans doute celle d'un hôtel Autour d'elle, le mur blanc est presque nu, orné seulement d'une frise carmin et d'un petit miroir circulaire, dont les contours se perdent dans la zone brûlée qui occupe le coin supérieur gauche du cadre. Elle, elle est au centre du champ, exactement et totalement au centre. Elle est la blonde sidérale et l'héroïne du film. Elle noue la ceinture de son peignoir autour de sa taille et son bras droit s'écarte de son corps en tendant la bande de tissu, mais pause. Je bloque son geste et le retiens, je le fige au milieu de son élan.

Double fascination

Ouvrage ayant pour commun dénominateur le cinéma, Terreur s’articule autour d’un événement précis.
À quelques jours d’un festival dont elle devait animer la soirée d’ouverture, une star disparaît dont on est sans nouvelles. Et la narratrice venue suivre le Fico, – Festival international du cinéma d’outside – est en train de visionner son dernier film au titre éponyme.
Tout au long du roman, le lecteur est ainsi  invité à découvrir le tournage, les scènes-clé et le scénario de cet ultime film qui devient un élément central du roman, car il va permettre de nourrir la réflexion de la narratrice.
Et l’on comprend très vite que c’est autant la femme sur l’écran et l’image qu’elle véhicule que celle de l’autre côté qui est objet de fascination, comme le suggère l’autrice.

Dans le noir d'une salle de cinéma, tout à coup, la magie opère. Des paysages, des personnages, des couleurs et des sons se déposent dans le secret de vos cerveaux. Ils y laissent une empreinte nouvelle, ils créent des ouvertures insoupçonnées. Votre chimie interne se trouve modifiée par cette rencontre. On peut parler de coup de foudre, de choc esthétique, mais si vous le permettez, j'évoquerais ce soir le mot de grâce.

Un monde où coexistent les possibles

Reste que par la complexité des interactions humaines comme par la structure du texte au montage très haché, pour s’en tenir au langage cinématographique, le récit est pour le moins singulier. Pour mieux cerner cet univers, peut-être faut-il se référer au jugement émis par Jean-Philippe Cazier dans le dernier numéro de Diacritik :

Le monde construit Ariane Jousse est un monde qui n’est plus un tout cohérent puisque celui-ci s’est écroulé. À la place : un monde construit par l’art ; un monde de fiction qui ne s’oppose pas à la réalité mais qui la problématise, qui s’y infiltre et en devient indiscernable ; un monde mental peut-être pensé par aucun esprit en particulier ; un monde où coexistent les possibles, où règne le virtuel ; un monde peuplé de fantômes et de somnambules, d’affects et percepts autonomes s’articulant selon d’étranges rapports. Sans doute est-ce de cela dont il est aussi question dans ce livre : construire un tel monde, la construction de mondes étant peut-être la grande affaire des œuvres et des livres.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Actualités littéraires

Comments are closed.