Jeanne Benameur, Vivre tout bas, Actes Sud, 02/01/2025, 208 pages, 19,50€
Il y a des livres empreints d’une telle délicatesse d’écriture, d’une poésie si méditative que l’intrigue passe au second plan. Comme si la puissance évocatrice des mots, des métaphores, suffisait à l’agrément de la lecture.
Ainsi en va-t-il de Vivre tout bas, un récit d’évasion en quelque sorte, où la subtilité des images n’ayant d’égale que la fragilité des sensations éprouvées, nous transporte dans un univers à l’aube des temps.
Surgie du paysage, une femme apparaît au bord de la mer et erre de plage en colline dans le souvenir d’un enfant qui n’est plus.
C’est cette quête surnaturelle que Jeanne Benameur nous invite à partager à mi-chemin entre les arcanes de son vécu et la disparition de son fils.
A-t-elle entendu un jour son enfant rire ? Elle l’a vu sourire. Un sourire doux mais toujours un peu triste, comme s’il savait déjà trop de choses, même si petit. Mais rire, rire vraiment. Non. Elle aimerait à cet instant précis que sa mémoire soit soulevée, traversée par le rire de son enfant. Est-il possible qu’elle l’ait oublié ? Est-ce que la grande souffrance comble même les anfractuosités de la mémoire où des souvenirs heureux auraient pu trouver refuge ?
Sous les traits de la Vierge Mère
Atteinte au tréfonds de sa chair, l’héroïne n’a plus qu’un lien avec la nature, l’irréel aussi pour la faire tenir debout. Courir sur la grève, suivre le vol des oiseaux, rester assise sur le seuil de sa maison et laisser les images de son existence venir et disparaître.
Au gré des promenades, elle parvient cependant à s’extirper de son mal-être. Comme lors de cette rencontre avec la vieille dame d’un village qui la rassure et près de laquelle elle renoue avec le quotidien.
Sur la placette bordée d’arbres où d’autres femmes l’accueillent avec simplicité sans rien lui demander, elle se sent bien, c’est tout. Jusqu’à ce qu’à l’instant où un chant vibrant l’enveloppe, l’arrivée d’une petite fille venue se blottir contre elle ne réveille sa douleur. Heureusement la main de Jean, vient à point nommé se poser sur son épaule.
Un Jean passant des nuits à pêcher sur sa barque, un être à part, qui trouve sa place parmi chaque homme et chaque femme.
C’est ainsi que peu à peu, le récit s’entrouvre pour laisser place à l’allégorie qui le structure. Cette femme qui a perdu un fils a tous les traits de Marie qui peut accueillir les souffrances des autres, paumes ouvertes, telle que l’autrice le laisse à penser dans une envolée mystique.
Dans son pas qui martèle le sol elle sent maintenant monter une autre force. Cette force-là, c’est celle qui fait traverser à ceux qui souffrent les épreuves les plus dures, celle qui fait naître la vision des matins paisibles à nouveau, où la bonne odeur du pain chaud viendra accompagner le jour… Son cœur bat au rythme de ce qui vient de cette terre si aride où poussent quand même les citronniers et les oliviers et toutes les fleurs aux senteurs subtiles. Elle a écrit des mots dans cette terre et personne ne les effacera. Ils ont le droit de rester, et elle, elle a le droit de les écrire.
Un bonheur d’écriture
Puis, en poursuivant cet apologue, Jeanne Benameur va longuement mettre en scène la personnalité de Jean. Jean, le tout-amour, l’apôtre que Jésus aimait, fidèle entre les fidèles à qui avait été confiée la garde de sa Mère.
Le pêcheur du lac de Tibériade qui deviendrait bientôt un pêcheur d’hommes, comme le Nazaréen l’avait prophétisé. Imagé, comme en autant de paraboles, c’est ce mystère évangélique qui traverse ainsi Vivre tout bas.
Faut-il voir dans la rencontre de la femme avec une petite fille muette, ce don d’amour d’une Vierge Mère lorsqu’elle découvre les lettres tracées sur la pierre que l’enfant a dessiné. De la même manière que le Fils avait jadis écrit avec un bâton sur le sable dans l’épisode de la femme adultère ?
L’essentiel de cet admirable récit tient dans la façon délicate et intuitive de l’expliciter comme l’autrice s’y emploie tout du long, en explicitant sa mission.
Elle ne bâtira pas d’église, elle ne portera aucune parole divine. C’est la parole humaine qu’elle essaiera d’entendre, cette parole qui n’est parfois qu’un murmure. C’est dans ces murmures qu’elle entend la vie pleine, la vie si fragile. Une vie ce n’est rien mais parfois quand elle parvient à se dire alors on en voit la forme. Le peintre sait cela. Le musicien aussi et tous ceux qui essaient de révéler cette forme pour que » d’autres la voient aussi. Elle, c’est avec l’écriture et elle sait que c’est ainsi qu’elle » fera ce que sa propre vie réclame depuis toujours.
Une écriture que l’autrice cisèle et exalte, de bout en bout, avec une infinie tendresse.
Chroniqueur : Michel Bolasell
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