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Ahmed Dich, Quelques rêves incertains, Editions Erick Bonnier, 24/01/2023, 1 vol. (289 p.), 12€.

Après plus de dix années de silence, Ahmed Dich qui avait reçu en 2012 le prix Beur FM-TV5 Monde pour son roman Chibani (Éditions Anne Carrière) revient à la littérature avec un pamphlet incisif intitulé Quelques rêves incertains. Sans mâcher ses mots et avec un art consommé de la formule qui fait mouche, il dresse un portrait sans concession des dernières décennies et cherche à déboulonner quelques mythes encore vivaces au sujet de l’immigration.

"Dans le rétroviseur tendu par la nostalgie"

La première partie revisite avec beaucoup de verve, l’Histoire de la France depuis les années 1980. En quelques phrases, Ahmed Dich ressuscite l’atmosphère des années Mitterrand, le passage de la gauche sociale à la gauche caviar, au cours de deux septennats “digne des Médicis. Ou des Borgia”. À cette époque, “Barbès ressemblait déjà à une principauté maghrébine, sans que cela eût été perçu comme les prémices d’un grand remplacement”. Pourtant, les préjugés existaient déjà à l’égard des populations immigrées. L’auteur revient sur la façon dont la littérature et le cinéma ont fait de la cité et de ses habitants un sujet à la mode avec, à la clé, une ribambelle de clichés qui auront la vie dure. Il s’agissait tantôt de dénoncer la misère, tantôt d’édifier un mythe du « bon beur » comme il y avait eu jadis celui du “bon sauvage”. Tous les grands événements qui ont marqué la société française, de la victoire de l’équipe nationale de football et de son héros “Zizou” en 1998, aux attentats terroristes des années 2010, sont retracés. À chaque fois, l’auteur met en lumière les conséquences que ces épisodes ont eu pour tous ceux qui n’avaient pas l’air d’être “des Gaulois de souche”. Les hommes politiques, toujours prêts à une récupération électoraliste sont l’objet de portraits au vitriol que n’aurait pas reniés un La Bruyère. Ahmed Dich raconte comment lui-même fut approché par les équipes de campagne de Nicolas Sarkozy “pâle copie de Kennedy en béret” en quête d’immigrés ayant réussi leur intégration. Une fois élu, “Sarko avait offert un rôle sur mesure à quelques Cosette censées représenter la diversité. En réalité ce casting donnera un nanar indigeste.”

L’enfer est pavé de bonnes intentions

La discrimination positive, les associations comme “SOS Racisme” sont étrillées sans ménagement car, selon Ahmed Dich, elles n’ont fait que “stigmatiser par la compassion”. Au lieu d’effacer les différences, elles ont braqué les projecteurs sur elles : “Les petits gascons ou les chtis du Nord ne sont pas mieux lotis que les cousins de banlieue. À quoi cela sert-il d’avoir une représentation visible dans les médias si c’est pour enfermer tous les autres dans les clichés, les condamnant ainsi au communautarisme”. Le poids de plus en plus prépondérant de la religion chez les immigrés serait ainsi la conséquence directe de cet échec : “Plus qu’une religion, l’islam devenait le symbole d’une revendication identitaire. Ou comment basculer de SOS Racisme à Tariq Ramadan. Une ellipse de folie.”
Si son ton est parfois acerbe, Ahmed Dich n’en éprouve pas moins un profond sentiment d’attachement pour la France :

Quand je vois ce que sont devenus les jeunes gens de ma génération à Douar Mlayna au Maroc, je comprends que le destin fut vraiment clément avec moi. J’aurais certainement vingt ans de plus dans les artères et quelques dents en moins. Je n’aurais eu que le fatalisme comme horizon et la résignation comme plancher pour ma destinée.

Reconnaissant envers son pays d’adoption, il déplore cependant un pessimisme devenu endémique et regrette “ses dix glorieuses”, le temps de son enfance où, écrit-il “je n’étais encore qu’un petit immigré en phase d’apprentissage dans ce pays et ma présence ne semblait pas représenter une menace pour l’identité nationale”. Arrivé à un point où il est urgent d’en finir avec la résignation et le déclinisme, ce petit essai est une claque salutaire infligée au nihiliste ; son écriture, un véritable électrochoc. Comme l’écrit Ahmed Dich à qui nous laisseront le dernier mot :

Aujourd’hui, il est de bon ton de pester contre la France. Tout le monde gueule contre ce pays à commencer par l’autochtone. Mais qui serait prêt à partir vivre ailleurs ? Ce n’est pas en fermant les yeux que l’on éteint la lumière du jour.

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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