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René Guitton, Paolo, la présence de l’absent, Desclée De Brouwer, 30/08/2023, 1 vol. (157 p.), 14,90€

Ceux qui n’échangent rien, ne deviennent rien…” Il y a longtemps que René Guitton avait fait sienne cette parole de Saint-Exupéry qui résumait, à bien des égards, son mode d’existence.
Écrivain, voyageur et essayiste, soucieux d’un authentique dialogue entre l’Orient et l’Occident, ce dernier n’a eu de cesse, sa vie durant, de pénétrer les fondements des monothéismes qui font de lui un véritable passeur, à l’image d’André Chouraqui.
Né comme lui au Maghreb, ce spécialiste de la symbolique unificatrice d’Abraham, a œuvré pendant plusieurs décennies pour un prolifique échange philosophique et spirituel entre les diverses confessions.
En témoignent ces multiples ouvrages, qui depuis Variations indigo et Si nous nous taisons jusqu’à Lettres à Dieu ou le Messager d’Harân, révèlent un désir sans faille de nourrir un commun courant de pensée, fut-il empreint d’utopie.
Nombre d’essais ponctués, si l’on peut dire, par le récent Dictionnaire amoureux de l’Orient qui trouvent cependant une résonance accrue dans son dernier roman.
Écrit en mémoire d’un ami prêtre jésuite, Paolo, la présence de l’absent, est bien plus qu’une ode à la fidélité. Par-delà la quête d’un cher disparu, cette fiction est un vibrant hommage à tous ceux qui hurlent en silence leurs souffrances – physiques et morales — comme leurs rages, face aux destructions d’un des berceaux les plus importants de l’humanité.

L’utopique défi

Car, c’est bien à cette lignée qu’appartient le père Paolo D’all’Oglio, fondateur du monastère Deir Mar Moussa, en Syrie, qui trente ans durant, s’était fixé le défi d’unir chrétiens et musulmans, dont ses proches étaient sans nouvelles depuis son enlèvement en juillet 2013.
Absent et pourtant bien présent, comme tient à l’affirmer l’auteur en incipit de l’ouvrage.

Avant tout, je tiens à l’affirmer bien haut ; je veux te considérer bien vivant, extrêmement vivant, tel que je t’ai toujours connu, puissant, en pleine force, dans tes méditations comme dans des utopies. Tu as disparu du côté de l’Euphrate, vers Rakka. Disparu… Depuis, aucune preuve de ta vie ne nous est parvenue. Rien ne dit que tu n’es plus. À croire ou ne pas croire, je préfère prendre le pari que tu es, tel que tu étais, souleveur de montagne et montagne toi-même, immense, bâti en gladiateur.

Au pied du Panthéon où il était venu manifester son union avec le peuple de Syrie, René Guitton aborde un peu de leur complicité avant de s’attarder sur la fécondité des réalisations de son ami. La réhabilitation phénoménale d’une bâtisse chrétienne isolée entre Homs et Damas d’abord, et sa raison d’être d’y accueillir ensuite, tous les êtres de passage épris de fraternité, sans distinction d’origine ou de religion. Comme une volonté jamais rassasiée d’apprendre l’homme, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, pour s’approcher au plus près de ses croyances et de ses modes de vie.

À l’image d’autres grands quêteurs d’unité

Une passion arabe et multiconfessionnelle qui le renvoyait vers d’autres quêteurs l’ayant précédé sur ces mêmes voies. “Qu’il s’agisse de Teilhard de Chardin, scientifique et prêtre de la Compagnie de Jésus dont tu es issu ; de Charles de Foucauld dans son immersion maghrébine ; de Louis Massignon qui a fortement imprégné ta réflexion intellectuelle et spirituelle ; ils sont nombreux ces penseurs d’Occident à avoir éprouvé cette même fièvre de l’Orient”, indique René Guitton.
Sans oublier les moines trappistes de Tibhirine qui ont payé de leur vie ce désir de communion spirituelle. Encore qu’à cet égard, leurs points de vue étaient divergents estime l’auteur, car par leur vocation monastique, les résidents du sud algérien étaient tenus au silence, alors qu’en établissant une communauté mixte comme en ouvrant les portes à un public cosmopolite, le prêtre jésuite allait prêter le flanc à des colères obscurantistes dont on connaît la finalité.
Malgré les nombreuses mises en garde de son ami à l’issue d’une conférence à Paris, l’intéressé avait tenu bon :

Je reviendrai à Rakka, lui avait-il dit un soir de mars 2013. Qu’est-ce qui peut me donner le goût de vivre sinon servir mes frères et, ce faisant, servir Dieu ? J’ai pour mission de le seconder, et il ne peut en aucun cas accepter un tel comportement des hommes… Ma place est là-bas. J’y ai trop à faire. Qu’on le veuille ou non, j’irais à Rakka car nous faisons la révolution. Tu comprends ce que cela signifie ? La révolution !

À cet entêtement, René Guitton s’était efforcé ce jour-là d’opposer la raison. Que pouvait prétendre faire son ami dans cette région du Croissant fertile où des fous de Dieu n’avaient laissé que ruines informes et trous sauvages d’archéologues-pilleurs qui ne respectent rien ni personne ?

les grands hommes ne meurent jamais

Il avait beau répéter que jadis, le prophète Mahomet réservait un accueil ouvert aux juifs et aux chrétiens de passage, les invitant même à célébrer Pâques dans sa mosquée, ces fanatiques ne pouvaient pas l’écouter. “Ne pars pas, Paolo, ne part pas à Rakka” s’était-il ainsi évertué à lui dire.
Puis, comprenant que ce choix relevait chez lui davantage du devoir – sinon d’une injonction supérieure — que d’un coup de tête, René Guitton n’insista pas, préférant se souvenir des instants partagés au monastère de Mar Moussa et des excès que la passion pour l’Islam suscitait pour Paolo.

Plus qu’une passion, il s’agit d’amour disais-tu, comme pour affirmer un état dont tu savais qu’il pouvait déranger, poussant ton idéal de dialogue interreligieux jusqu’à imaginer l’utopie d’une Église islamo-chrétienne ou Église de l’Islam.

Immanquablement, la levée de boucliers vint de toutes parts, et ce fut presque un miracle si la ténacité à entreprendre comme à convaincre, se solda par un blanc-seing du nouveau pape Benoît XVI.
C’était en 2006. Début d’une période fertile en réalisations de toutes sortes grâce aux soutiens obtenus à l’extérieur, jusqu’à ce que le réveil du monde arabe, d’abord perçu comme un mouvement libérateur se transforme sous l’emprise des Salafistes en un obscurantisme radical.
Ce fut patent en Égypte, en Libye et en Tunisie, avant de prendre le caractère dramatique que l’on sait en Syrie avec le consentement de Bachar-el-Assad.
Contraint de quitter la région en 2012, que pouvait bien faire un moine résolu à prôner l’unité interconfessionnelle quand les grandes puissances avaient abdiqué et abandonné le pays au martyre ? Avec près de 500 000 morts et six millions de déplacés, restaient seuls les pleurs et la fureur. Ce qui n’allait pourtant pas empêcher Paolo de renoncer.
Salut à tous de Rakka. En Syrie libre !”, indiquait-il dans un dernier message électronique en date de fin juillet 2013. Un mot rassurant a priori, indiquant qu’il allait pouvoir prendre contact avec les responsables islamistes pour négocier la libération d’otages. Mais pouvait-on réellement traiter avec eux ? Parti au siège de DAECH à Rakka pour y rencontrer l’émir al-Bagdadi, le père jésuite ne reparut plus.
Après de longues années de silence, une affirmation du Times : “Father Paolo is alive !” redonnera un temps l’espoir sans que rien ne se concrétise pour autant.
Vibrant acte de foi pour ne pas désespérer de sa libération, l’hommage de René Guitton se lit ainsi comme un merveilleux plaidoyer d’amitié. Et d’admiration tout autant, “pour celui qui a toujours prôné l’amour plus immense que le début et la fin, plus vaste que le temps. Car les êtres d’exception ne meurent jamais, Paolo”, conclut l’auteur en un hymne à la vie aussi fervent que déchirant.

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Chroniqueur : Michel Bolassell

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