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« Notre mission reste la même, il s’agit toujours de rapprocher les gens ». C’est dans ces termes que Mark Zuckerberg vient de justifier en cette fin de mois d’octobre 2021 son choix de créer « Meta », une nouvelle marque et entité devant chapeauter les réseaux sociaux du groupe (Facebook, Instagram, WhatsApp…) et ouvrir le champ au Métavers : univers numérique global, dans lequel l’utilisateur sera totalement immergé virtuellement, voire également physiquement grâce aux avancées technologiques. Le nom de « Métavers et donc de Meta », est inspiré d’un roman de science-fiction publié en 1992 : « Snow crash » de Neal Stepenson (édition française sous le titre « Le Samouraï virtuel » publiée en 1996 chez Robert Laffont) où il est possible de rejoindre, corps et âme, un univers virtuel.

Le fondateur de Facebook a souvent utilisé face aux critiques contre son réseau social leader incontournable presque monopolistique, le mantra du « rapprochement des gens ». L’annonce de la fondation de « Meta » vient à un moment où l’entreprise est confrontée à des attaques judiciaires devant le Congrès américain et les instances de l’Union européenne : l’algorithme ne serait plus maîtrisé par les équipes de Facebook qui ne pourraient plus véritablement contrôler la modération sur le réseau et donc l’influence qu’il peut avoir dans la société. Comme si nous vivions « La singularité technologique », ce moment théorisé où l’intelligence artificielle doit dépasser l’humanité – pareil à la prise de contrôle par l’ordinateur HAL 9000 dans « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick.

C’est dans ce contexte anxiogène que le philosophe Robert Redeker publie un ouvrage sur les réseaux sociaux en décrivant une guerre entre Léviathans, du nom de l’œuvre de Thomas Hobbes. Si le monstre biblique est devenu, sous la plume du philosophe anglais du XVIIe siècle, une représentation de l’État tout puissant, voilà que ce dernier serait concurrencé par les réseaux sociaux et plus généralement les géants d’Internet regroupés sous l’acronyme de GAFAM.

Ce Léviathan nouveau, encore dans les vagissements des langes, s’essaie à voler la souveraineté aux États, à substituer leur souveraineté à la souveraineté traditionnelle, héritée de l’histoire.

C’est la fin de l’État rêvée par le communisme et le capitalisme, réduit à devenir un simple « guichet, prestataire de services ». C’est le retour à l’état de nature, qui sous la coloration verte et positive qui est donnée dans notre société contemporaine, marque en fait un retour à un temps de violence dominé par l’anarchique loi du plus fort. La leçon de Hobbes était en fait contenue dans une nécessaire institutionnalisation de l’inégalité avec un ordre puissant mais surtout protecteur.

Les réseaux sociaux libèrent l’énergie que l’État-Léviathan, en ses différentes guises historiques, retenait : la violence. (…) Les États n’ont pas pris garde à ce que la guerre civile généralisée, impossible au sein du Léviathan, se déplacerait vers l’univers du virtuel.

Dans un dialogue philosophique à travers les époques, savant mais très accessible, Robert Redeker convoque Rousseau, Kant, Weber, Freud, Descartes, Platon et bien d’autres, pour évoquer cette rupture de paradigme, ce moment toujours important de démolition/reconstruction dans l’Histoire humaine. Une vision très pessimiste – peut-être trop – d’un philosophe regrettant que l’avènement du nouveau Léviathan dominant que seraient les réseaux sociaux conduise pêle-mêle à : créer un être digital dans un mouvement de transhumanisme, faire disparaître l’intériorité et la vie privée, augmenter le voyeurisme et la violence des échanges, restreindre la liberté face à la « moraline » de « la belle âme digitale » ou le « retournement tyrannique de la liberté contre elle-même ».

Prenant l’exemple de la période inachevée – le sera-t-elle un jour ? – de privation de liberté au nom de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, Robert Redeker, dans son excellent essai, démontre que les deux Léviathans peuvent parfois s’allier au lieu de s’affronter, puisque les réseaux sociaux ont été pendant le confinement mondial un outil du pastoralisme politique, ou peut-être s’agit-il du passage de témoin entre le Léviathan du passé et celui du futur ?

Né en 1954, Robert Redeker est agrégé de philosophie. Collaborant à plusieurs périodiques, il a notamment publié : « Le Déshumain » ; « Nouvelles Figures de l’homme » ; « Egobody » ; « L’Emprise sportive » ; « L’Éclipse de la mort » ; « L’École fantôme » et « Les sentinelles d’humanité ». Il fut pendant quinze ans, à l’appel de Claude Lanzmann, membre du comité de rédaction des « Temps Modernes ». Ses livres sont traduits en plusieurs langues étrangères. Il produit une émission hebdomadaire sur Radio Kol Aviv, « L’Entretien Infini ».

Olivier AMIEL
articles@marenostrum.pm

Redeker, Robert, « Réseaux sociaux : la guerre des Léviathans », Le Rocher, « Idées », 22/09/2021, 1 vol. (274 p.), 17,90€

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