Omar Youssef Souleimane, L’Arabe qui sourit, Flammarion, 20/03/2025, 229 pages, 20 €
Omar Youssef Souleimane, écrivain et poète syrien exilé en France depuis 2012, signe avec L’Arabe qui sourit, un roman entre autofiction et récit d’aventure et description politique. Lauréat du premier Prix littéraire du Quai d’Orsay, ce nouveau roman est un témoignage intime et universel sur l’exil, le retour impossible et la résistance par la littérature. La critique est unanime pour dire de lui qu’il est l’un des écrivains les plus prometteurs de la littérature de l’exil contemporain. Il écrit avec ce nouvel ouvrage alors qu’il ne pouvait pas encore rentrer en Syrie. Ce nouvel opus offre une fenêtre sur son pays d’origine en nous proposant un récit d’exil centré sur le “retour fantasmé”. Ce voyage physique et psychologique au plus intime est l’occasion de revenir sur la guerre, l’exil, la mémoire. La Syrie, bien naturellement, en est d’une façon et d’une autre le décor ; c’est-à-dire celui de l’auteur. Il lie la France et la Syrie comme des lieux de mémoire et de l’actualité politique
Le retour en Syrie confirme son ancrage en France, et souligne un décalage irréversible et tout en maintenant un lien imaginaire avec la terre natale. Que reste-t-il de cette terre ? Est-elle vouée à un avenir heureux où l’on pourrait encore, et malgré tout ce qui s’est passé, sourire encore ? Dans ces conditions être “un Arabe qui sourit” est une affirmation d’humanité face à la tragédie syrienne et une interrogation. Le sourire est présenté par Omar Youssef Souleymane comme un acte de résistance : blessé dans son enfance (perte d’un œil), le narrateur sourit pour détourner le regard des autres mais aussi pour défier une culture où “Dieu n’aime pas les joyeux”. Cela contredit un peu le livre de l’Académicien Didier Decoin (2021), “Jésus le Dieu qui riait”. Une histoire joyeuse du Christ ». Le sourire et Dieu ont été au cœur des débats théologiques au Moyen-Âge, et avec Saint François d’Assise une autre vision de l’Évangile a été présentée ; mais là pour l’ouvrage de l’auteur syrien il ne s’agit pas d’une réflexion à partir de cet angle… Pour lui, le sourire devient une arme contre la fatalité : “Être arabe, c’est être triste. Être un Arabe qui sourit, c’est être un résistant”. C’est une arme silencieuse. Le sourire est donc la figure centrale et originale de ce récit. Dernier rempart
Salim, le personnage central du roman vit entre deux langues, deux cultures. Il a perdu un œil très jeune, ce qui modifie son rapport au regard des autres, à l’image de soi. Le sourire devient une sorte de substitut, un moyen de se rendre visible tout en se cachant, de résister à l’exposition de la douleur. Salim vit à La Rochelle lorsqu’un message sur Facebook annonce la mort de son ami Naji, compagnon de lutte contre le régime de Bachar al-Assad. C’est le moteur du récit, le prétexte pour aller dans un au-delà, pour nous amener ailleurs… vers un retour envisagé. Le retour sera-t-il possible ?
C’est un serment d’amitié qui motive et pousse au voyage clandestin de la France au Liban puis vers la Syrie pour rapatrier le corps du défunt et l’enterrer à Damas. Cette traversée est semée de contrôle, de peurs, d’un livre d’Ibn Khaldûn annoté, des chiffres cryptés, un trafic de Captagon. La nostalgie se mêle au thriller, et en alternant des passages denses à d’autres plus contemplatifs ; et voire lyriques. Le mélange de genres crée une certaine dynamique qui reflète la complexité du Proche-Orient contemporain. Le roman noir qu’Omar Youssef nous présente est une quête spirituelle et une méditation sur la mémoire. La Syrie retrouvée est devenue un “cimetière de rêves” où la dictature a laissé place à la violence islamiste, et à la disparition des libertés individuelles. La Syrie d’aujourd’hui n’inspire pas plus de sympathie même si elle motive des espoirs en se confrontant à la répression, à la guerre civile « larvée », au trafic de drogue, au communautarisme, à la violence des milices ou aux contrôles de sécurité…). Les difficultés concrètes du retour dans ce pays déchiré semblent pour l’heure bien illusoires.
L’auteur dans ce roman met en scène la douleur de l’exilé qui doit “vivre le deuil” de sa patrie perdue
Le roman articule des scènes de clandestinité (dangers, franchissement des frontières), une charge. Est-ce véritablement un roman ou une autobiographie, une fiction à fort impact personnel… ? L’art de l’écrivain est de transformer une douleur autour de la mort d’un proche en une réflexion sur la mémoire. La réflexion se poursuit et se développe autour de la thématique de l’identité et de la survie. Continuer à vivre, à aimer et à écrire quand tout semble perdu est un lieu de résistance comme l’a su le démontrer Delphine Minoui dans son livre “Les passeurs de Daraya”
L’auteur investit un champ que l’on retrouvera aussi dans la littérature palestinienne en déclinant l’idée du retour fantasmé, irréel, toujours repoussé. On sait combien cette réalité ne trouve pas d’issue depuis de très nombreuses années, et laisse la fenêtre ouverte sur un champ qui ne s’ouvre jamais à l’exilé…, si ce n’est dans son imaginaire et dans le désir qu’un jour ce soit possible. Le lecteur peu familiarisé avec les références culturelles arabes et proche-orientales resteront peut-être extérieurs à des passages plus obscurs ou plus difficiles à déchiffrer, exigeant une certaine ouverture aux codes culturels du Proche-Orient (poésie, l’histoire), les réalités syriennes, mentalité, tics culturels, manière de penser l’Autre et le monde, les sensibilités religieuses).
Le personnage à l’instar de l’auteur est devenu français. Il poursuit son chemin en utilisant désormais deux langues : celle de l’accueil et sa langue natale. La langue française est maîtrisée avec élégance en portant parfois un trait d’humour discret. On vit l’évènement, et nous sommes dans les lieux… Ni totalement Syrien ni totalement Français, il nous conduit dans les entrailles ontologiques et psychologiques de ce qu’il est en profondeur, et ce dans une recherche faite de douleur et d’espérance. Le lecteur reconnaîtra à travers ces lignes sa lucidité politique, et le caractère intime, tendre et personnel de celui qui écrit. Pourrait-il en être autrement ?
L’Arabe qui sourit est un roman fort et émouvant. Il réussit à mêler lyrisme et tension, à articuler le déracinement, le deuil, la mémoire, l’espoir avec beaucoup de recul. Il interroge ce que signifie “revenir” quand le pays ne ressemble plus à ce qu’il a connu, le souvenir, et l’amitié. Résister non seulement à l’oubli mais à la disparition du pays intérieur et de ce qui reste au plus profond de son être mental. Les Irakiens, par exemple, pourraient donner eux aussi des exemples marquants sur le sujet.
Omar Youssef Souleimane apporte au roman une part nécessaire d’explications au sujet des ambivalences de l’exilé : désir de retour, douleur du passé, difficulté à se réconcilier avec ce que le pays est devenu. L’Arabe qui sourit est un roman qui prend aux tripes, et qui donne au lecteur le sentiment d’accompagner un chemin et des paysages intérieurs entre douleur et tendresse, en faisant de ce texte une lecture forte qui ne laissera personne insensible. La Syrie n’est pas encore sortie du tunnel… À lire !!!

Chroniqueur : Patrice Sabater
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