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Marin Postel, La mer est un mur. Éditions Phébus, 16/01/2025. 192 pages, 19€

Marin Postel est né à Paris. Après des études de Droit, il s’installe au Vietnam où il passe quatre années avant de revenir en France. L’auteur est aussi un musicien, et sans doute cela se traduit dans le rythme écrit non par des notes mais par des mots pleins de musicalité musicienne. Il partage son temps entre différents métiers et l’écriture.

Un premier roman d’une maîtrise impressionnante, d’une grande maturité, mêlant mélancolie, poésie et tension dramatique. Dans « La mer est un mur », Marin Postel explore la fracture entre les hommes, les classes et les sentiments. La mer devient le miroir d’un drame familial et social. L’auteur choisit une île imaginaire de la Manche, Quiésay, pour théâtre d’un drame familial et social où la mer, omniprésente, devient autant décor que métaphore : frontière infranchissable, miroir de solitude, élément gouvernant les destins. Un territoire clos où deux mondes coexistent sans jamais se rejoindre : celui des îliens, pêcheurs pauvres et endurcis, et celui des continentaux, vacanciers aisés venus chercher une authenticité qu’ils ne connaîtront jamais vraiment. C’est dans cet espace de tension que se joue le drame de Joseph et Antoine, deux frères dont la relation se fissure au fil des étés. Joseph et sa famille rejoignent à cette même date la maison de leur grand-mère. Son frère Antoine, lui, s’éprend de l’île et de ses habitants jusqu’à vouloir s’y installer. Entre fascination et rejet, cette attirance le mènera à une rupture inévitable : celle de la famille, des origines et des illusions.

L’aîné des deux frères, fils d’un médecin parisien, s’éprend de la vie rude et libre des îliens, au point de vouloir s’y installer définitivement. Ce choix scelle la désunion de la famille, mais aussi la fracture entre deux mondes : celui des vacanciers privilégiés et celui des insulaires de la caserne, pêcheurs et marginaux repliés sur eux-mêmes. On pourra noter l’incompréhension, la douleur, la difficulté d’accepter ce chemin inattendu, illusions perdues, et du coup pas véritablement accompagné…, bien sûr !

Le texte est porté par la voix du frère cadet, Joseph. Il tente de comprendre la dérive de son frère aîné. Fasciné par la vie des pêcheurs et par un jeune îlien, Baptiste, Antoine cherche à franchir les frontières sociales et symboliques qui séparent les deux communautés. Cette quête d’appartenance devient peu à peu une fuite — hors du cadre familial, hors du continent, hors du monde même. L’auteur prend prétexte de ce cadre pour interroger les fractures sociales et affectives, la transmission familiale et l’émancipation douloureuse d’un jeune homme qui veut s’inventer un destin. En arrière-plan, la mer, omniprésente, incarne l’obstacle, la séparation et l’infini : « un mur », selon le mot du titre, contre lequel se brisent les illusions. Chacun est devant son propre mur, ses difficultés, ses paralysies pour franchir ce qui se tient devant nous comme un Annapurna à franchir physique ou plus intime. Ce Mur nous questionne et les fractures en nous également. Le récit porte, me semble-t-il, sur la fraternité blessée et sur l’émancipation impossible. C’est une douleur… Il arrive bien souvent d’être aux côtés de quelqu’un que nous aimons beaucoup et que nous admirons sans pouvoir aller pleinement dans son jardin secret, et ainsi souffrir de ne pas pouvoir le comprendre et voire encore plus l’aimer. Le frère cadet observe avec une lucidité douloureuse la lente dérive d’Antoine, son aîné. Ce dernier est prêt à tout perdre. C’est un drame.

Le drame se devine au gré de la lecture dans les non-dits, dans la distance que le narrateur maintient entre lui et son frère. Le lecteur ressent que quelque chose lui échappe, et qu’il ne parvient pas à épuiser le sens, et arriver au cœur du cœur de l’histoire. Le récit est en fait une dépossession progressive qui nous met mal à l’aise. On voudrait aller plus loin, se faire violence en poussant les portes et en allant plus loin et plus fort, mais le rythme et la retenue du texte nous invitent davantage à entrer dans le mouvement des vagues et des mots qui nous portent. La famille, la terre et la parole se délitent sous la pression du temps et des hiérarchies sociales.

Une écriture poétique pour se rêver mêlant sentiments et une sensualité qui caresse et qui à la fois nous fait mal quelque part dans notre histoire au travers de l’histoire de ces deux frères. Marin Postel fait sentir le vent, le sel, la lumière changeante des côtes normandes ; chaque phrase semble rythmée par le flux et le reflux des marées. La lenteur du texte soutient la tension dramatique du récit. Le texte respire au tempo de l’île, lentement, parfois jusqu’à l’étouffement. Cette lenteur donne au roman sa force immersive. Cela rappelle également la lenteur vécue dans la barque entre le vieil homme et le jeune garçon dans le beau texte d’Ernest Hemingway. Ce n’est pas la seule proximité que l’on peut noter. Son style rappelle Philippe Besson pour la délicatesse des émotions et pour sa pudeur, Laurent Petitmangin et Nicolas Mathieu pour la justesse sociale.

La mer est un mur est un premier roman d’une grande maturité narrative et d’une grande profondeur émotionnelle. Ce sont de belles pages sur l’attente, sur la perte et sur la séparation. L’auteur y déploie une écriture d’une justesse rare, entre le lyrisme des paysages et la violence des silences familiaux. Un roman bouleversant qui prend aux tripes, nous embarque et nous interroge dans notre histoire particulière entre peur et fascination. Marin Postel dresse le portrait sensible d’une génération en quête d’ancrage, prisonnière de ses propres frontières. Une jeunesse que nous laissons à la dérive, et qui n’a plus vraiment l’urgence de notre regard pour contribuer à former des jeunes capables d’affronter le monde qui vient, et qui ne paraît pas être le « meilleur des Mondes »… La mélancolie et le silence forment la trame de ce récit d’apprentissage, qui tend aussi dans la désillusion.

Nos mots sont salés, et parfois nos maux prennent le sel de la mer qui nous brûle au plus profond de nous-même… La mer n’est plus horizon d’évasion, mais un mur invisible entre les êtres. Il nous faudra suivre cet auteur très prometteur au style léger et puissant, délicat et incisif qui nous conduit au plus profonde nous-même. Merci aux Éditions Phébus de nous avoir partagé ce beau et premier grand texte de Marin Postel. Nous attendons avec impatience sa prochaine livraison.

Image de Chroniqueur : Patrice Sabater

Chroniqueur : Patrice Sabater

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